Un palais, de la vaisselle et des vues d’avion…
Roman
Milena Agus rassemble éléments et personnages disparates pour faire de La Comtesse de Ricotta un conte plein de compassion et de drôlerie
«Sans les photographies du livre de Marco Desogus, Dentro Castello , les personnages de cette histoire ne sauraient pas où habiter. Sans la vaisselle ancienne du professeur Paolo Melis, Elias n’aurait pas de collection. Sans les photos à basse altitude prises par Giovanni Alvito à partir de dirigeables et de ballons captifs, il serait impossible au voisin d’avoir une vision systémique un peu différente.» Une fois n’est pas coutume, les remerciements adressés par Milena Agus à la fin de ce conte sarde, avec leur petit air à la Prévert, valent la citation.
Ces remerciements prouvent que la romancière italienne, auteure du Mal de pierres (Liana Levi, 2007) a le récit dans le sang. Même à l’heure des adieux au lecteur, juste avant de le quitter, elle trouve des ressources d’humour et d’incongruité. Il ne serait pas absurde même de commencer la lecture de La Comtesse de Ricotta par là. On y apprendrait qu’il y sera question de la vieille ville de Cagliari – le quartier de Castello; de vaisselle de collection mais aussi d’aviation. Tous les ingrédients du récit sont là, il n’y manque peut-être que le piano – dont un petit garçon aussi mal embouché qu’attachant jouera merveilleusement – et l’amour bien sûr (mais qui remercier pour cela?), qui tissera, tant bien que mal, des liens entre tous ces éléments disparates, histoire de faire tenir debout ce récit à la fois burlesque et émouvant.
Une héroïne gaffeuse
On comprendra en tout cas que Milena Agus n’a pas peur des situations saugrenues, des coq-à-l’âne, des mélanges détonants. Elle s’y sent même comme un poisson dans l’eau. Elle aime les personnages bancals. Tous le sont dans ce récit, mais aucun n’arrive à la cheville de la comtesse de Ricotta – celle du titre, l’héroïne du livre – qui est le modèle même de la femme maladroite, gaffeuse, légèrement désespérée, de celles qu’on abandonne après une nuit d’amour, de celles qui songent au suicide sans jamais passer à l’acte; bonne comme le pain aussi, songeant sans cesse à sauver le monde, les pauvres et les déshérités sans voir qu’elle-même ou sa famille auraient peut-être besoin au premier chef d’être aidés.
Mais reprenons. D’abord le Castello. Soit un palais qui tombe en ruine dans le vieux quartier du Castello. Lequel a également perdu sa splendeur d’antan. Des appartements du palais sont loués et les trois propriétaires, trois sœurs à la noblesse tardive et à la fortune évaporée, tentent bon gré mal gré de s’y faire une vie. Ensuite, la vaisselle ancienne. Elle sera la passion commune qui rapprochera une des trois sœurs, une magistrate restée vieille fille, et Elias, maçon cultivé et épris de liberté. Leurs scènes de ménage feront valser la vaisselle et pas n’importe laquelle. Le voisin aviateur, enfin, sera celui qui, grâce à sa «vision systémique» du petit monde du palais, parviendra à sortir la comtesse de Ricotta, plus jeune et plus infortunée des trois sœurs, de son marasme quotidien. Un peu à la manière de Stefano Benni, mais de façon plus poétique et plus incarnée, Milena Agus raconte des histoires pleines de compassion, où les défauts, les errances et les ratages des personnages sont précisément ce qui fait leur charme.