Un roman à lire en écoutant «Les Noces de Figaro»
Livres
Akira Mizubayashi raconte des histoires d’amour avec un opéra, avec une femme, avec une soprano, avec un enfant, avec un chien et avec la langue française

Il y a des livres ouverts, aérés, qui vous prennent par la main pour vous emmener vers de nouvelles découvertes. Des livres qui vous entraînent vers d’autres livres, vers de la musique, vers des lieux, vers des gens, vers des cultures différentes. Un amour de Mille-Ans est de ceux-là. C’est un roman, mais c’est aussi un essai enthousiaste et frais sur Les Noces de Figaro de Mozart. C’est un roman, mais c’est aussi une réflexion tendre sur l’amour et l’impermanence des choses et des êtres. C’est un roman, mais c’est encore le récit de l’amitié d’un homme et d’un animal. Sans oublier l’exploration d’une langue et d’une littérature, la nôtre, par un homme venu «de l’autre bout du monde», un Japonais, qui est à la fois le héros du livre et celui qui tient la plume.
A l’âge de 59 ans, Akira Mizubayashi, professeur de français à l’Université Sophia de Tokyo, s’est mis à écrire dans la langue qu’il avait étudiée et qu’il enseignait: le français. Depuis, plusieurs livres sont parus, dont Une langue venue d’ailleurs (2011) et Mélodie: chronique d’une passion (2013). Ses thèmes sont récurrents. La relation de l’homme au chien; la relation de l’homme à sa langue maternelle et à sa langue d’élection; l’amour et les passions, musicales – en particulier Mozart et ses opéras; la littérature, Rousseau en première ligne. Un amour de Mille-Ans, le dernier roman donc d’Akira Mizubayashi, ne s’écarte pas des thèmes de prédilection de l’écrivain, qui, à la manière d’un compositeur, multiplie les variations sur un air connu. Le charme de ce nouveau livre réside dans les focales qu’il choisit.
Sensation inconnue
Sen-nen – dont le prénom n’est pas étranger au titre du roman – est amoureux de Mathilde, sa femme. Elle approche de la fin de sa vie, veillée avec une fidélité touchante par leur vieille chienne, Blanca. Il se remémore leur rencontre autour d’un duo de Mozart, leur existence paisible et joyeuse au Japon, puis en France.
Dans le train-train du quotidien feutré et mélancolique surgit un souvenir du passé, une lettre, une invitation à une représentation des Noces de Figaro de Mozart qui renvoie soudain Sen-nen à ses passions de jeune étudiant à Paris, bien avant sa rencontre avec Mathilde. Jadis, en effet, lors d’une représentation des Noces de Figaro, il avait été saisi comme jamais par une exaltation nouvelle: «Pour lui, le spectacle lyrique avait été jusqu’alors comme une soirée dansante dans un somptueux château», mais cette fois, il s’était retrouvé «ébloui, inondé d’une sensation inconnue».
La suite du récit, qui épouse étroitement l’intrigue, la musique et les personnages de l’opéra, au premier rang desquels la malicieuse Suzanne, est la quête éperdue de cette «sensation inconnue». Que s’est-il passé ce soir-là? Et tous les autres soirs, puisque dès lors, Sen-nen ne rate plus une représentation de cette mise en scène des Noces.
Contours
Avec une grande finesse, l’auteur n’apporte, on s’en doute, aucune réponse catégorique. Il explore, tisse, se souvient, dessinant peu à peu les contours d’une vie et d’une mémoire où se détache ce qu’il y a de plus précieux. Les émotions bien sûr, amoureuses, tristes, musicales, esthétiques, vitales, mais aussi une manière de considérer le monde, les choix effectués, des choix politiques autant qu’esthétiques.
Car Sen-nen voit en la langue française qu’il a élue et dans l’opéra qu’il chérit, une pluralité, une transversalité, une manière d’accorder les contraires à travers la conversation libre ou les duos, trios, quintettes et même septuor, une manière d’être qui lui semble faire défaut dans sa langue et sa culture d’origine: «Il n’y a rien qui soit plus étranger à l’être-ensemble nippon que l’entrecroisement polyphonique des voix diverses!» écrit le narrateur.
Et pourtant, et cela ajoute au plaisir de lecture, c’est bien dans l’entre-deux, entre les regards japonais et occidental, que se love le récit. La construction du roman s’appuie sur celle de l’opéra, ouverture, actes, entractes, après-spectacle et épilogue. La liberté de ton, l’errance des propos, l’attention portée aux choses, aux êtres, la simplicité du quotidien, l’apparition de certains mots racontent aussi, en filigrane, l’appartenance de l’auteur à une culture venue «de l’autre bout du monde».
Akira Mizubayashi «Un amour de Mille-Ans», Gallimard, 266 p.