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Sur un solide arrière-fond historique, le réalisateur italien Clemente Bicocchi tire un premier roman de son équipée rocambolesque au Congo-Brazzaville

Clemente Bicocchi ne se pose pas en explorateur aventureux comme l’était, un siècle et demi plus tôt, son compatriote naturalisé français Pierre Savorgnan de Brazza, communément appelé Brazza, qui a donné son nom à Brazzaville. Mandaté par une descendante de Brazza, il se rend dans la capitale africaine pour filmer le mausolée de l’explorateur, inauguré en 2006. «Un délire de marbre blanc, relève Bicocchi, au cœur d’une ville chaotique, pauvre, sale.» Muni d’une caméra fort coûteuse, il n’est venu que pour accomplir un travail alimentaire dans une période économiquement difficile, un saut de puce de deux jours, avec pension à l’ambassade italienne, avant de repartir pour la Suisse, où il vit avec sa famille (et qu’il évoque brièvement dans ce livre, soit dit en passant, en termes peu engageants).
Ce travail accompli, et sur le point de reprendre l’avion, il reçoit un mail de sa mandataire le priant d’aller chercher encore un DVD chez un réalisateur congolais qui avait promis de le lui envoyer sans l’avoir jamais fait. Ce DVD contient en principe des images du Makoko actuel, autrement dit du roi des Tékés, lequel n’est plus qu’une autorité morale et spirituelle, un gardien des traditions de ce peuple du Congo.
Candide au Congo
Bicocchi accepte et cela va l’entraîner bien plus loin qu’il l’aurait voulu, dans une histoire aux multiples rebondissements. Ce DVD n’ayant existé qu’à l’état de projet, le réalisateur congolais Romeric, subjugué par la caméra de l’Italien, parvient à le convaincre de procéder rapidement à ce tournage avec lui. Bichocchi accepte, il finit toujours par accepter, presque malgré lui, et se lance dans des projets qui ne semblaient pourtant pas le concerner avec témérité et sincérité dans un pays où, pour un Occidental, les actions les plus banales (se déplacer d’un point à un autre, boire de l’eau, etc.) deviennent compliquées, voire périlleuses.
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Rien du héros ordinaire, on le voit, d’autant qu’il peine à saisir ce qui lui arrive, s’énerve de sa naïveté ou ne comprend qu’avec un temps de retard. C’est ce qui donne son sel à ce livre, comme l’étonnante amitié née entre les deux «associés». Un roman, vraiment? Cela tient plutôt d’un reportage au très long cours libéré de ses contraintes et dont le narrateur, une sorte de Candide au Congo, crée du suspense en permanence à force de se battre contre une certaine nonchalance africaine sous l’œil amusé de ses compagnons de route.
L’ombre de Brazza
Derrière les mille complications de la vie quotidienne et les tracasseries policières se cache une histoire sérieuse. Aller filmer en 2007 le Makoko à Mbé, village perdu dans la profonde forêt congolaise, cela n’a rien d’anodin dans le Congo du président Denis Sassou-Nguesso. Brazza représente aux yeux de nombreux Congolais, comme de ressortissants français et d’anciens pays colonisateurs, une autre approche des rapports entre l’Occident et l’Afrique. Le jeune homme, obsédé par l’idée de connaître la grande tache blanche encore inexplorée au cœur de l’Afrique, avait fait preuve de respect et de considération pour les populations et les cultures qu’il y avait rencontrées. Il voulait instituer avec elles des relations fondées sur des principes d’équité.
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C’est dans cet esprit qu’il avait signé un traité d’alliance en 1880 avec le Makoko, au nom de la France, qui ne le respecta jamais totalement. Tout le contraire du pillage des richesses naturelles et de l’exploitation sans scrupule de la main-d’œuvre indigène opérés de l’autre côté du fleuve Congo par Stanley pour le compte du roi des Belges Léopold II.
Désopilant et sérieux
Si le Makoko était présent en 2006 à Brazzaville lors de l’inauguration du mausolée de Brazza, à côté du président Sassou-Nguesso et du ministre français des Affaires étrangères d’alors, Dominique Douste-Blazy, c’était sur l’insistance des descendants de l’explorateur, et notamment d’Idanna Pucci, la commanditaire pour laquelle Bicocchi est parti filmer cet étrange édifice.
Finalement, le réalisateur italien aura tiré d’une destination pour lui très improbable un film, Afrique noire, marbre blanc (2012) et ce Blanc du roi aussi désopilant que sérieux. Comme quoi, la vie elle-même tient souvent du roman.
Roman
Clemente Bicocchi
Le Blanc du roi
Traduction de l’italien de Samuel Sfez
Liana Levi, 222 p.