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Alex Capus a enquêté plusieurs années et jusque dans le Pacifique Sud sur les secrets de l'écrivain Robert Louis Stevenson. «Voyageur sous les étoiles» est le fruit de cette quête où la vie dépasse de très loin la fiction

C’est ce qui s’appelle une histoire en or. Pourtant, Alex Capus a d’abord fait la fine bouche. L’écrivain alémanique est l’auteur de plusieurs romans, dont Léon et Louise, un de ses grands succès. Un beau jour chez lui, à Olten, il reçoit une lettre de Nouvelle-Zélande, écrite par un de ses lecteurs. Walter Hurni, c’est son nom, lui explique qu’il a découvert la véritable île au trésor de Robert Louis Stevenson (1850-1894). «Je reçois chaque jour ce type de courrier», explique Alex Capus au téléphone, depuis le bar qu’il a ouvert dans sa ville. «Je préfère décider de mes sujets moi-même.» Mais son compatriote du bout du monde insiste et lui fait parvenir des reproductions de cartes maritimes pour étayer sa thèse. C’est la beauté de ces plans qui vont décider l’écrivain à se lancer. Il ne pouvait savoir à l’époque qu’allait commencer pour lui une enquête de plusieurs années dans l’immensité bleue du Pacifique, sur les traces de Robert Louis Stevenson.
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Voyageur sous les étoiles est le fruit de cette quête. Le livre révèle bel et bien la véritable île au trésor dans un récit haletant, véritable jeu de piste entre San Francisco et Samoa, en plein Pacifique Sud. Il jette aussi une lumière nouvelle sur l’auteur de L’Ile au trésor et de L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, objet de vénération dans tout le monde anglo-saxon. D’ailleurs, Voyageur sous les étoiles n’y est pas passé inaperçu. Une première version, plus courte, parue en Allemagne en 2005, a été immédiatement traduite en anglais. Et Alex Capus s’est retrouvé à Edimbourg, la ville natale de Stevenson, invité par le grand festival Fringe pour présenter son livre: «Tous les spécialistes de Stevenson étaient présents. Il m’a fallu une bonne dose de courage pour présenter une thèse qui bouscule la légende. Ils ont fait une moue polie mais n’ont pas pu me contredire», se souvient Alex Capus.
Août 1879, un jeune Ecossais de bonne famille et de santé fragile tue le temps en se promenant dans les rues pentues de San Francisco. Robert Louis Stevenson a traversé l’Atlantique puis les Etats-Unis d’est en ouest (11 jours dans un train sordide) dans un seul but: convaincre Fanny Osbourne, mariée et mère de deux enfants, de tout quitter pour lui. Or Fanny ne veut tout d’abord plus de ce jeune homme sensible et impressionnable rencontré en France. Avant qu’elle ne décide finalement de divorcer, plusieurs mois vont s’écouler, que Stevenson, qui n’existe pas encore en tant qu’écrivain, passe seul, à prendre des notes sur la ville.
Porte du Pacifique
«A l’époque, San Francisco était la porte du Pacifique. Los Angeles n’existait pas», poursuit Alex Capus au téléphone. Et une histoire circule dans tout le port: celle de l’île Cocos, au large du Costa Rica, où plusieurs générations de pirates ont enfoui des trésors. «Cette île au trésor était célèbre dans le monde entier, tout au long du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle. Il est très peu probable que Stevenson n’en ait pas entendu parlé.» Peu probable aussi qu’il n’ait pas lu la presse de San Francisco en ce mois d’octobre 1879 quand deux navires sont rentrés bredouilles de l’île Cocos après des mois de fouilles fiévreuses sous un climat dantesque. L’affaire avait fait grand bruit.
Quelques mois après ces articles (jamais mentionnés par les biographes de l’écrivain), Stevenson, devenu l’époux de Fanny, et le beau-père du jeune Lloyd, écrit L’Ile au trésor, entre la demeure de ses parents, en Ecosse, et Davos, où il espère guérir de la tuberculose. Son île ressemble de façon frappante à l’île Cocos. Le succès de ce récit d’aventures, conçu pour distraire son beau-fils, est retentissant. Fait rare pour un auteur, Stevenson admettra avoir fait des emprunts chez plusieurs de ses pairs. Mais jamais, tout au long de son œuvre et de sa vie, il ne mentionnera le nom de l’île Cocos. Qui continuera à drainer nombre d’aventuriers avides et frisant la folie ou tombant à pieds joints dans la maladie mentale.
A des milliers de kilomètres de là
Or, et c’est l’une des révélations de Voyageur sous les étoiles, tout porte à croire que Robert Louis Stevenson a été un de ces chercheurs de trésors. Et qu’il a passé les cinq dernières années de sa vie à pister le fameux trésor de l’île Cocos. Mais pas là où des cohortes d’aventuriers l’avaient fait avant lui. A des milliers de kilomètres de là, beaucoup, beaucoup plus au sud. Nous n’allons pas ici révéler l’endroit et gâcher un des nombreux plaisirs de lecture du livre. Mais on peut par contre continuer à se pencher sur la vie de Stevenson, qui vaut tous les voyages.
La tuberculose laisse peu de répit à l’écrivain. Devenu célèbre, il passe dix ans à sillonner l’Europe et les Etats-Unis, de sanatoriums en cures diverses. En 1889, toujours avec Fanny et son beau-fils, il s’embarque pour une tournée des îles du Pacifique: Marquises, Tahiti, Hawaii, îles Gilbert. Le but, ou le prétexte, du périple, qui va durer un an, est d’écrire des reportages pour des revues américaines.
Un palais faramineux
C’est d’ailleurs par-là que débute Voyageur sous les étoiles. Au moment précis où Stevenson pose le pied sur l’île principale de l’archipel des Samoa, Upolu, en décembre 1889. Contre toute attente, alors que dans ses lettres il ne cesse de dire combien il lui tarde de retrouver l’Ecosse, il va, du jour au lendemain, décider de s’installer définitivement à Samoa. Et y faire construire un palais faramineux, au cœur de la jungle, sous le pire des climats pour un tuberculeux. Et y mourir après cinq ans d’un cauchemar dont témoignent les journaux intimes de tout le clan Stevenson, réuni autour de lui, à Samoa.
Au terme d’une enquête très fouillée, Alex Capus fait trembler les chromos romantiques de l’écrivain non conformiste, tombé en amour pour le climat et le mode de vie samoans. Un autre amour, plus impérieux, l’a guidé, à la fin de sa courte vie. L’a-t-il trouvé, le fameux trésor? Le livre donne tous les éléments pour se forger une réponse. Au terme de la lecture, on comprend néanmoins que c’est bien cette vie qui se révèle être la plus précieuse des trouvailles. Et avec les mots mêmes de Stevenson, Capus conclut que le roman d’une vie peut dépasser la meilleure des fictions.