Ce 1er avril 1965, en guise de poisson, les lecteurs de Vaillant – Le Journal de Pif ont eu un concombre. Brandissant le drapeau vert de l’anarchie et du nonsense réunis, ce concentré de chlorophylle et de hargne a précipité les enfants de Descartes dans un univers jouxtant le Pays des Merveilles exploré par Lewis Carroll.

Héritier de Popeye et de Krazy Kat, le Concombre masqué est issu des dunes de Bizerte, en Tunisie, où Nikita Mandryka, petit-fils de Russe blanc émigré, passa une enfance enchantée parmi les champs de fraises éternels. Devenu grand, il transcrit en bande dessinée l’insouciance de ces vertes années. Dans un joli format horizontal, Les Aventures potagères du Concombre masqué regroupe les planches que publiait Pif. L’album donne à voir la mise en place d’un univers mouvant.

En ces temps préhistoriques, le Concombre masqué ne ressemble pas encore au Légume qui met le souk dans Pilote depuis 1971: dolichocéphale, il a un petit bedon et une queue feuillue; il porte un loup de velours, tandis que son avatar des 70’s, tel qu’en lui-même toujours il change et se perpétue aujourd’hui encore, est une cucurbite anoure dissimulant ses mystères sous une cagoule que prolonge une tige retroussée comme un point d’interrogation.

Vazyléon!

Au mitan des années 60, le Concombre n’a pas encore rencontré Chourave, son ami, son alter ego. Il a pour partenaires, pour souffre-douleur, un explorateur intrépide, un petit crocodile végétarien qui se prend pour un pirate, un être sphérique pensant et paranoïaque… «Vazyléon!» est son juron préféré – plus tard ce sera «Bretzel liquide!» Le cactus-blockhaus où il réside n’a pas encore la majesté tarabiscotée du futur édifice, des forêts résiduelles ombrent encore le désert de la Folie douce. Mais, déjà plein de jus, de sève et de niaque, le concombrineux zèbre le ciel juché sur son éclair, tire la globinette pour faire tomber la pluie, transmute le sable en yaglourt et affronte les Tromp’la-mort, ces cohortes bottées qui passent comme le fascisme…

Retrouvant le trait vif de ces dessins en noir et blanc, nombreux sont les enfants d’autrefois qui disent merci à Mandryka. Sans le Concombre masqué, peut-être seraient-ils devenus banquiers ou pharmaciens plutôt que de jardiner à jamais l’imaginaire.


Les Aventures potagères du Concombre masqué, de Mandryka (alias Kalkus). Mosquito, 46p.