Vive la reine Ginga, portrait d’une femme puissante d’Afrique
Roman
Dans un beau roman d’aventures, l’Angolais Agualusa fait revivre cette souveraine historique, devenue une icône africaine

La reine Ginga (ou Njinga ou encore Nzinga) a réellement existé, et même longuement, puisqu’elle est née vers 1583 et morte en 1663, régnant sur un territoire qui correspond à une partie de l’Angola actuel. C’était un sacré personnage, et la légende a généreusement orné sa biographie de faits héroïques, sanglants ou pittoresques. Femme de pouvoir, elle est une icône pour les Africaines. Mais c’est aussi une figure shakespearienne qui n’a pas hésité à faire assassiner père, frère et tous ceux qui se mettaient en travers de sa trajectoire. Sa vie aventureuse a été transposée au cinéma et en bande dessinée.
Lire aussi: La vie rêvée d’Eulalio, lézard tropical
Un religieux brésilien comme narrateur
José Eduardo Agualusa en a fait la figure centrale d’un roman qui en dit beaucoup sur le trafic des esclaves entre l’Afrique et le Brésil, par le truchement des Portugais. La bonne idée est de prendre pour narrateur un religieux brésilien, le père Francisco José de Santa Cruz, natif du Pernambouc, fils d’une Indienne et d’un mulâtre né d’un Portugais et d’une Noire de Minas. Tout jeune Jésuite, à peine débarqué sur le continent noir, il est envoyé comme secrétaire de la reine Ginga. Il a quand même le temps de s’apercevoir de l’ignominie de la traite organisée par les Portugais avec la collaboration d’une Eglise dont ce naïf va peu à peu s’éloigner dans les affres du doute.
Lire également: Quand le monde onirique d’Agualusa vient au secours du réel
Esclaves
La reine Ginga, elle aussi, a des esclaves, mais elle les traite plus humainement que ne le font les Blancs. Même si, dans une scène stupéfiante, face aux envahisseurs portugais, elle s’assied sur une de ses esclaves, qu’elle abandonne là ensuite, au prétexte qu’elle n’a pas l’habitude d’utiliser deux fois le même siège! Ginga est une femme virile, un chef de guerre, qui s’entoure de captifs qu’elle fait habiller en femmes, et de tout un harem d’esclaves féminines. Bon stratège, elle dispose de troupes nombreuses. Elle étend son royaume en soumettant les rois voisins, pactise avec les Hollandais contre les Portugais, et négocie durement avec tous les Blancs, jusqu’à la paix finale. C’est aussi une opportuniste qui n’hésite pas à se convertir au christianisme et à prendre le nom de Doña Ana de Sousa, par pur intérêt politique.
Blancs à la peau noire
A son service, le jeune Jésuite apprend à parler le quimbundu, et aussi à céder aux joies de la chair. Elles lui font oublier la chasteté que son état exige! Il y met du temps, tourmenté par la peur de l’enfer, mais peu à peu, il se détache de toute croyance et devient un critique lucide des mœurs occidentales. Il apprend aussi la relativité des hiérarchies sociales: «Dans les sertões d’Angola, comme cela arrive au Brésil, n’importe quel homme parlant portugais, ayant reçu les eaux du baptême et possédant de la fortune ou de la notoriété, peut être considéré comme blanc. J’ai connu beaucoup de Blancs à la peau noire.»
Il connaîtra la déroute, la fuite, les bateaux pirates, la captivité, le retour au Brésil, dans le Nordeste de son enfance, et une nouvelle traversée de l’océan pour revenir à Luanda, assister à la guerre entre Hollandais et Portugais et tenter de renouer avec sa bien-aimée et leur fils. Toutes ces aventures sont rapportées sur le mode de la chronique historique: ni la violence ni les horreurs perpétrées par tous les camps ne sont minimisées mais le récit alerte, souvent voltairien, éclaire avec ironie mais aussi sympathie le parcours du curé défroqué.
Lire aussi: Délire baroque et tropical
Réveiller la mémoire endormie
Agualusa est né en 1960 en Angola, fils de Portugais. Journaliste, dramaturge, il a écrit de nombreux romans, dont plusieurs sont traduits en français. Ils empruntent souvent la forme du conte ou de la fable, ainsi La Théorie générale de l’oubli (Métailié, 2014) qui traitait de la fin de la colonisation portugaise. Ici, il se sert avec verve du roman historique pour réveiller la mémoire endormie de ce scandale généralisé, la traite des Noirs, et pour faire le procès du rôle des religions, quelles qu’elles soient. Ce n’est pas par hasard qu’à la fin de sa vie, son Jésuite choisit de se fixer à Amsterdam, où l’édition et le commerce des livres sont libres, comme les opinions qu’ils véhiculent.
José Eduardo Agualusa, La Reine Ginga et comment les Africains ont inventé le monde, trad. de Danielle Schramm, Métailié, 240 p.