Pour sa première rétrospective locarnaise, Frédéric Maire s'est fait plaisir. En pariant aussi sur celui des autres, en particulier des jeunes. Dans le choix d'Aki Kaurismäki par le nouveau directeur artistique du festival, on croit reconnaître l'engouement du jeune critique qu'il fut et qui découvrit sans doute ici même ce cinéaste singulier, en 1989, à travers une mini-rétrospective de trois films: Shadows in Paradise, Hamlet Goes Business et Ariel. Depuis, le cinéaste finlandais a parcouru du chemin, méritant cet hommage qui sera accompagné d'un livre d'entretiens avec son vieux complice Peter von Bagh, publié aux éditions des Cahiers du cinéma.

Revenu au premier plan

Il faut dire que, vu de l'étranger, le cinéma finlandais tendrait aujourd'hui à se résumer au seul Kaurismäki, revenu cette année au premier plan à Cannes avec Les Lumières du faubourg (jeudi 10 août sur la Piazza grande). Qu'il paraît loin le temps où Jörn Donner se trouvait dans cette position, et même celui où l'on a pu croire en l'intérêt de son frère aîné Mika Kaurismäki! Son statut conforté, l'auteur d'Au loin s'en vont les nuages et de L'Homme sans passé ne suscite plus qu'un type de souci: son inspiration donne-t-elle des signes de tarissement, comme le prétendent les mauvaises langues, ou bien approfondit-il au contraire son sillon? C'est ce qu'une rétrospective de cinéaste encore en activité permet de mieux juger, tout en offrant des occasions de rattrapage à ceux qui auraient pris le train en route.

Avec déjà une quinzaine de longs-métrages et autant de courts derrière lui, Kaurismäki est de ces auteurs qui, à l'instar d'un Almodovar, d'un Iosseliani ou d'un Kusturica, peuvent être qualifiés d'«obsessionnels». Au point que son style et sa vision du monde sont devenus des points de référence. Leurs traits les plus marquants? Un minimalisme qui s'étend de l'action au dialogue, au service d'un pessimisme social et existentiel radical qui s'efforce pourtant toujours de retrouver le sourire. Peu loquace, souvent perdu dans des vapeurs de cigarette et d'alcool mais toujours aimable et ironique, le cinéaste s'est lui-même composé un personnage à la hauteur de ses tristes héros.

Fanatique de films muets

Pour bien saisir l'animal, il convient toutefois de ne pas oublier qu'il fut lui-même un ardent cinéphile avant de passer derrière les caméras. Né le 4 avril 1957 à Orimattila, il fréquente surtout les salles obscures de Tampere et Helsinki, où Peter von Bagh, alors directeur de la Cinémathèque, ne tarde pas à le repérer. Jugé «trop cynique», il est recalé au concours d'entrée de l'école nationale de cinéma. Dès 1980, ce fanatique de films muets et de Godard se lance néanmoins dans la création, d'abord comme scénariste et acteur pour son frère (ils nomment leur société de production Villealfa, en hommage à Alphaville de Godard), puis comme réalisateur (Crime et châtiment, 1983, librement adapté de Dostoïevski). D'emblée se manifeste une capacité rare de digestion, d'appropriation de toutes ses références dans un langage poétique qui lui sera propre. Parallèlement, il fonde en 1986 à Sodankylä en Laponie, toujours avec Mika, le Midnight Sun Film Festival, seul festival au monde situé au-dessus du cercle polaire et qui programme des films 24h sur 24!

Depuis lors, toute la difficulté pour l'observateur deviendra de discerner le sérieux derrière l'apparente désinvolture du bonhomme, un peu comme chez son ami américain Jim Jarmusch. Comment l'auteur du si noir La Fille aux allumettes peut-il avoir signé une pochade comme Leningrad Cowboys Meet Moses? Ce fou de cinéma, devenir propriétaire d'un hôtel Oiva perdu dans la cambrousse ainsi que de plusieurs bars rétro à Helsinki? Ce grand buveur réaliser des films aussi maîtrisés?

On le voit, l'homme n'est pas à une contradiction - assumée - près. Amateur de mélos et de burlesque, de tango comme de rock, à la fois fêtard et très marié, ce pur représentant d'une certaine «âme finlandaise» vit la moitié du temps au... Portugal, près de Porto. C'est aussi ce qui fait l'intérêt de son cinéma.

Sur la rétrospective de Locarno ne subsistait qu'un doute: où se situe l'overdose de Kaurismäki? Avec l'excellente idée d'intercaler une «carte blanche» d'une vingtaine de films choisis par le cinéaste lui-même (que des grands classiques, de Murnau à Fassbinder en passant par Ozu et De Sica), qui mettront sa propre œuvre en perspective, ce danger semble avoir été habilement écarté.

Rétrospective Aki Kaurismäki. Festival du film de Locarno. Du 3 au 12 août. http://www.pardo.ch