La Piazza Grande fidèle au rendez-vous, le Grand Hôtel qui fait faux bond: volontairement ou non, le Festival international du film se trouve cette année à un nouveau tournant. D'un côté, un nouveau directeur artistique, romand qui plus est, dont on attend forcément beaucoup; de l'autre, la disparition du cœur historique de la manifestation, le Grand Hôtel, jadis centre des projections devenu lieu de rencontres tardives apprécié de tous les festivaliers. Dès lors, Locarno 2006 s'annonce-t-il comme le festival de la rupture ou de la continuité?
En attendant de pouvoir juger sur pièce, le programme de la Piazza, grand rendez-vous populaire de la soirée peut servir de premier indicateur. Entre les grands films de Cannes ou de Berlin privilégiés par David Streiff, les douches écossaises chères à Marco Müller et les dérives populistes d'Irene Bignardi, quelle ligne allait choisir Frédéric Maire, qui a connu les trois époques? A priori un grand mélange, avec deux mots d'ordres avoués: rallier tous les distributeurs suisses à sa cause et rétablir le lustre du festival comme carrefour de nos langues nationales.
A l'arrivée, ce premier exercice risque de ne pas paraître si différent des précédents pour le spectateur. Entre la remise de prix honorifiques (Alexandre Sokourov, Agat Films), la vitrine pour les sections parallèles (rétrospective Kaurismäki, Léopards de demain, Play Forward) et le désir de contenter tout le monde, il faut dire que les contraintes ne manquent pas. La section est même devenue le lieu par excellence de toutes les pressions (distributeurs, autorités politiques, exigences de rentabilité) avec lesquelles le directeur artistique doit composer.
L'ouverture des feux avec Miami Vice de Michael Mann, en avant-première de sa sortie en salle le 16 août, rappelle a priori l'ère Müller. En fait, le choix est habile: il s'agit d'un des rares blockbusters hollywoodiens de l'été qui soit aussi signé par un véritable auteur (Collateral, Révélations, etc.). Réussi ou non, le reformatage pour grand écran de sa propre série TV des années 1980 présente de véritables enjeux cinématographiques. De même, la clôture avec le documentaire italien L'Orchestra di Piazza Vittorio d'Agostino Ferrente cumule les avantages: sujet pour plaire (immigration, art et intégration) avec un concert live de world music à la clé!
Entre deux, on aura droit aux premières helvétiques de trois films de la compétition cannoise (Indigènes de Rachid Bouchareb, La Raison du plus faible de Lucas Belvaux et Les Lumières du faubourg d'Aki Kaurismäki), à deux films d'horreur, histoire de prouver qu'on ne snobe pas le cinéma de genre (In drei Tage bist du tot de l'Autrichien Andreas Prochaska, Severance de l'Anglais Christopher Smith), et à quelques comédies consensuelles (Un franco, 14 pesetas de Carlos Iglesias, sur l'immigration espagnole en Suisse au temps de Franco, Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris, satire de la société américaine).
La touche Maire dans ce remix? La quête d'une sorte de «formule magique», sans doute. Après un rééquilibrage des langues avec un film allemand très applaudi au pays (Das Leben der Anderen de Florian Henckel von Donnersmarck, ou la vie à l'Est au temps de la Stasi) et la première d'un film italien (Quale amore de Maurizio Sciarra, inspiré de La Sonate à Kreuzer de Léon Tolstoï et tourné en partie à Lugano), on remarque encore une forte présence du cinéma suisse, où le duel entre comédie alémanique et romande (Die Herbstzeitlosen de Bettina Oberli et Mon frère se marie de Jean-Stéphane Bron) sera arbitré par le documentaire La Liste de Carla de Marcel Schüpbach (sur le fonctionnement du Tribunal pénal international de La Haye autour de Carla Del Ponte).
On frise l'équilibre parfait avec en guise de touche exotique la première superproduction et fresque historique du Kazakhstan, Nomad, une curiosité cosignée Sergueï Bodrov et Ivan Passer suite à une genèse compliquée, et au rayon vétérans admirables le documentaire Neil Young - Heart of Gold de Jonathan Demme. Perfection réelle ou sur le papier seulement? L'exercice de plaire à tous est périlleux, et il n'y a pas plus vindicatif qu'un «grand public» déçu. Pour l'heure, Frédéric Maire les aborde fort d'une neutralité tout helvétique plutôt que de risquer de prendre quiconque à rebrousse-poil. On verra à l'heure des bilans si c'était la bonne formule.
59e Festival international du film de Locarno. Jusqu'au 12 août. http://www.pardo.ch