Miami Vice en ouverture sur la Piazza Grande, voilà qui paraissait osé, mais jouable. Pour sa première prise de parole devant quelque 6000 spectateurs mercredi soir, après l'habituel jeu d'épate multilingue de Marco Solari, le nouveau directeur artistique Frédéric Maire s'en est bien tiré, avec de chaleureux applaudissements. Peaufinant son image de cinéphile sans a priori, il a surtout tenu à défendre son choix. Blockbuster hollywoodien, certes, expliqua-t-il en substance, mais aussi œuvre d'un véritable auteur, Michael Mann, qui a rénové le genre du thriller avec des films comme Thief, Manhunter, Heat et Collateral, sans oublier cette série emblématique des années 1980 qu'il produisit et aurait à présent revisité sur grand écran dans une tonalité beaucoup plus sombre. La 59e édition du festival pouvait commencer en beauté, sans écorner son image de marque d'exigence.
Las! Après ses vedettes Colin Farrell, Jamie Foxx et Gong Li, c'est Mann lui-même qui avait fait faux bond à Locarno à la toute dernière minute, n'envoyant qu'un bref et strictement professionnel salut vidéo depuis Hollywood. Mais pourquoi donc personne ne fait ce genre de mauvais coup à Cannes ou à Venise? Exit le glamour, retour insidieux du doute: cela commençait à sentir le roussi avant même le début de la projection.
On aura l'occasion de revenir sur ce film qui sortira sur les écrans dans la foulée du festival, le 16 août. Mais on peut déjà avertir que la déception est de taille. A moins qu'il ne s'agisse d'une confirmation, pour ceux qui tiennent Mann pour un brillant technicien et styliste, souvent bardé d'ambitions louables, mais privé de l'essentiel qui distingue l'auteur véritable, à savoir une vision du monde.
Avec son univers factice de bolides en tout genre, d'armes ultra-sophistiquées, de drogue à gogo et de héros qui prennent la pose, Miami Vice représente un triomphe de la forme sur le fond. Tout est certes admirablement filmé, avec des variations constantes de rythme, de cadrages, de lumière et même de grain de photo, mais pour ce qui est du propos, on frise le vide intersidéral! Miami paraît d'abord repensée comme tête de pont vers l'Amérique latine, l'action filant bientôt du côté de Haïti et de Cuba, de la Colombie et du Paraguay. Malheureusement, le moindre soupçon d'idée géopolitique disparaît derrière des allers et retours, deals et joutes amoureuses sans autre vice que leur aspect très répétitif.
Bref, sur une durée de 2h15, on a largement le temps de s'ennuyer. Si bien que ce sont des rires qui ont accueilli le «clou» de l'interminable fusillade finale, et des bâillements, l'épilogue d'une love story qui laisse de marbre. Il faut dire qu'avec Genève figurée au passage par une rue de quelque bourgade d'Amérique du Sud et la star chinoise Gong Li censée jouer une Cubaine, on pouvait être excusé de prendre tout ça à la légère. Auteur ou pas auteur.
Un peu mieux à la section Cinéastes du présent
La grâce de la pure forme ne tenant pas ses promesses, nous avons eu envie d'aller voir de l'autre côté du spectre de l'offre locarnaise, dans la section Cinéastes du présent, pour voir si elle s'y trouvait. Depuis sa création, certains soutiennent mordicus qu'elle accueille le meilleur du festival. A dire vrai, il s'agit d'une section boiteuse, qui accueille tant les films plus expérimentaux que certains recalés de la compétition - caractère confirmé cette année par sa scission entre une partie compétitive et une autre qui ne l'est pas.
Présenté en ouverture, Fragments sur la grâce du Français Vincent Dieutre, consacré à l'aventure janséniste du couvent de Port-Royal au XVIIe siècle, n'aura pas fait courir les foules. C'est pourtant l'un des plaisirs de ce festival que de pouvoir passer d'un film aussi grand public que Miami Vice à un autre aussi manifestement élitaire. A défaut de partager l'enthousiasme du directeur artistique (qui nous l'avait qualifié de «sublime»), on y aura au moins trouvé le rééquilibrage recherché: plus de fond que de forme.
Moderne au sens années 1970, Fragments sur la grâce est même carrément straubien dans sa manière de faire fi de son budget inexistant pour mieux servir la Culture et l'Histoire. Dans la forme libre de l'essai vidéo, le cinéaste alterne visites sur les lieux (avec ou sans traces), lectures de textes entre comédiens regroupés à une table et interviews de doctes spécialistes, sans oublier quelques apartés plus autobiographiques et des musiques sacrées de l'époque. Intellectuellement, c'est passionnant, la «querelle de la grâce» entre jansénistes et jésuites réunit saint Augustin, Pascal, Racine, Louis XIV et bien d'autres encore, débordant du domaine théologique au sociopolitique, ou au philosophique.
Par contre, le saut du registre didactique à celui d'une transmission plus intime n'a jamais vraiment lieu. Bon élève, Dieutre n'est pas pour autant le grand artiste-alchimiste, capable de transmuter sa matière en pensée ou en émotion pure. Pour l'instant, cet état de grâce recherché confusément par tout spectateur échappe encore au festival.