D’elle, tout a été dit. Le meilleur et le pire. Jamais dans la nuance, le tapage médiatique sans répit de Madonna Louise Ciccone a les rouages aussi bien huilés que sa plastique d’athlète. Dame de fer de la pop, la star peut se targuer d’être pionnière en son pays, première souveraine italo-américaine de l’entertainment américain à l’ère MTV. Hissée sur son trône de «reine de la pop» autoproclamée dans un show-biz jusque-là dominé par des hommes, elle est aujourd’hui une survivante.

Avec The King Elvis, elle partage le goût du doré qui fait bling et le déhanché sexy. Avec le roi de la pop Michael Jackson, elle partage les records de vente de disques et le règne de l’image par le clip vidéo. En plus de trente ans sur le devant de la scène, elle a bravé tous les obstacles et les tabous, telle une guerrière en guêpière, provoquant tantôt la fascination, tantôt l’écœurement collectif. Petit récap' pour la route: le look de punkette ébouriffée en dessous en dentelle des années 80? C’était elle. La domina sulfureuse en latex des années 90? Elle encore. L’illusionniste spirituelle de la jeunesse éternelle des années 2000? Toujours elle. Au fil d’une carrière menée tambour battant qui a connu des hauts vertigineux et des bas abyssaux, le sexe et la religion sont restés son fonds de commerce. Et la provoc', son moyen de communication. Elle est comme ça Madonna, elle se permet de susurrer des insanités directement à l’oreille de Dieu, le rendant ainsi complice de ses fantasmes polissons.

En décalage

Dans les années 2010, son ultime transgression est peut-être d’être encore là, sans renoncer à scintiller des milliers de cristaux Swa­rovski incrustés sur son habit de lumière lors des concerts du Rebel Heart Tour, sa dixième tournée internationale. Au ralenti mais sans sourciller, elle ne semble pas non plus entendre la horde de ses détracteurs hurlant à l’album de trop à chaque nouvelle sortie après «Confessions on a Dance Floor», son dernier album mettant tout le monde d’accord, sorti il y a dix ans. «The Show Must Go On», comme chantait l’autre Queen.

Alors c’est vrai, dans un monde nivelé par le nombre de «likes» et de «followers», elle en a beaucoup moins que Beyoncé, Rihanna et Lady Gaga. C’est vrai aussi, celle qui donnait son intimité en pâture et en noir et blanc, n’hésitant pas pour cela à se faire filmer jusque dans les toilettes des coulisses de sa tournée Blonde Ambition en 1990 – exactement dix ans avant la télé-réalité –, est bien larguée sur les réseaux sociaux, alignant les faux pas, les déclarations douteuses et les selfies bizarres dans sa salle de bains.

Des trophées 
sur la cheminée

Aujourd’hui, Madonna a 57 ans. A l’étroit dans ses costumes de bombasse de la pop, elle tente de faire de l’âgisme son dernier combat après le jeunisme. Ainsi, à la sortie de son album Rebel Heart au printemps 2015 elle dénonçait, blessée dans son orgueil, les médias qui voulaient la faire taire, la jugeant trop vieille pour jouer les toréadors dans le clip de son hymne à l’amour aseptisé «Living for Love». Son tour de passe-passe ne berne plus personne et quoi de plus normal à son âge, les nombreux records de la chanteuse sont derrière elle. Mais les trophées sur sa cheminée lui rappelleront à jamais tout ce qu’elle a accompli et incarné: la décadence du rêve américain à son paroxysme dans les années 80 de Ronald Reagan, la décennie de l’impitoyable univers du pétrole dans la série «Dallas» et du sida. Sa voix de Minnie Mouse sous hélium posée sur ses hits façon aérobic tels que «Holiday» ou «Like a Virgin» et le nombril à l’air, elle construisait minutieusement son propre mythe en hypnotisant tous les objectifs sur son passage, entretenant une relation passionnée avec son public et les médias.

Quand on perd sa maman à 5 ans, on devient insatiable en amour. J’ai rapidement ressenti le besoin d’être aimée par le monde entier

Experte en storytelling avant l’heure, celle dont la légende veut qu’elle soit arrivée à New York de son Michigan natal avec quelques dollars en poche n’a jamais été avare en confidences: «Quand on perd sa maman à 5 ans, on devient insatiable en amour. J’ai rapidement ressenti le besoin d’être aimée par le monde entier», confiait-elle un jour, les yeux mouillés, à un journaliste. Déterminée à réaliser son rêve, elle n’a reculé devant aucun obstacle pour y parvenir. Karma caméléon, elle a vite compris la nécessité de changer de look en permanence pour ne pas laisser baisser la tension. Dans ses mille et une réincarnations, elle a été la vierge et la putain évidemment. Sans oublier la cybergeisha, la cow-girl sexy et la Gypsy Queen, elle a aussi largement emprunté à l’art et aux manières de stars iconiques telles que Marilyn Monroe, Marlene Dietrich et Jean Harlow.

Material Girl et Girl Power

La Material Girl a également ouvert la voie du Girl Power, inventant ainsi et peut-être malgré elle une forme de féminisme postmoderne. Les féministes des années 70 avaient brûlé leur soutien-gorge en guise de rébellion contre le machisme, elle allait mettre les hommes à ses pieds en portant les siens par-dessus ses vêtements, avec la complicité de son ami farceur Jean Paul Gaultier. Beaucoup imitée, jamais égalée, Madonna est aujourd’hui revenue de tout. La star isolée dans sa tour d’ivoire n’a pas eu d'autre choix que de descendre de son panthéon pour se frotter aux mortels. Les muscles saillants laissent place à des courbes soudainement humaines et féminines. En remplaçant les génuflexions en série sur scène par une mise à genoux face à son public, l’interprète de «Like a Prayer» peut enfin serrer les mains de ses fans contre son cœur de rebelle. Et la bonne nouvelle, c’est qu’elle n’a jamais eu l’air de s’amuser autant sur scène.

Dates

1958 Naissance à Bay City, Michigan, Etats-Unis.

1963 Sa mère meurt des suites d’un cancer du sein.

1978 Arrivée à New York.

1982 Sortie de son premier single, «Everybody».

1984 «Like a Virgin» devient son premier hit international.

1985 Premier rôle au cinéma dans «Recherche Susan désespérément».

1998 Sortie de «Ray of Light», l’album de la résurrection.

2015 Rebel Heart Tour, sa dixième tournée internationale.