Résignation après un XXe siècle secoué par la partition du pays, les défilés martiaux grandiloquents des frères du Nord, la dictature militaire qui régna au Sud jusqu’en 1992? Ou modestie si profondément inscrite dans la culture coréenne que l’idée d’être plaint par le reste du monde se révèle insupportable? L’un, l’autre. Et surtout beaucoup de recul. La maturité des opprimés qui en sont sortis et ne s’étonnent plus de rien.
Le président du jury est à Neuchâtel pour s’amuser, simplement voir des films, «des films qui me feront peur, qui m’exciteront sexuellement, bref qui me stimuleront d’une manière ou d’une autre.» Davantage, souhaitons-lui, que ses premières impressions depuis qu’il est arrivé en Suisse: «C’est la première fois que je mets les pieds dans ce pays et il règne ici un tel calme que ça me rend nerveux!»
Il faut que ça bouge. Sans cesse. Même le rayonnement international de ses films, ou de ceux signés par Kim Ki-duk ou par son collègue et ami Park Chan-wook (également célébré à Cannes cette année avec Thirst en Compétition) est devenu, en une demi-douzaine d’années, une formalité pour les Sud-Coréens. Alors qu’on n’ose imaginer quel bastringue provoquerait, en Suisse, l’avènement simultané de cinéastes aussi doués. «Peut-être, mais si j’avais grandi en Suisse, je ne serais sans doute pas devenu réalisateur. Plutôt fromager. Je suis un malade de fromages!» Il rigole à moitié: «Sans les conditions dans lesquelles nous avons grandi, sans la dictature militaire, sans la censure, sans les réseaux cinéphiles clandestins auxquels j’ai participé quand j’étais étudiant, nous n’aurions jamais émergé.»
Dans les années 1980, une résistance étudiante s’est organisée autour des ciné-clubs. Les jeunes allaient jusqu’à se masser autour des projecteurs pour empêcher la police d’interrompre les projections.
Né avec une fibre artistique héritée de son grand-père écrivain et de son père designer, Bong Joon-ho avait pourtant pris un chemin détourné: la sociologie. «La concurrence était trop forte pour les études de cinéma. J’avais préféré biaiser en passant par les sciences humaines. Mais je n’ai pas suivi beaucoup de cours et j’ai obtenu ma licence en sociologie avec un mémoire sur les cinématographies du tiers monde. Je crois que les profs avaient surtout accepté ce sujet parce qu’ils souhaitaient se débarrasser de moi. Pour eux et la sociologie, j’étais une cause perdue.»
Ils auraient pourtant pu compter sur l’acuité de Bong Joon-ho. Il suffit de découvrir ses œuvres pour mesurer, derrière l’apparat du film de monstres ou du film noir dont il maîtrise les procédés à la perfection, l’importance inhabituelle de la dimension sociale. Le résultat, chez lui comme chez ses collègues, est sans pareil dans les autres cinématographies. «Il faut dire que nous sommes un peu comme des orphelins. Nous avons créé notre cinéma sans pouvoir faire référence à des réalisateurs plus anciens, soit parce qu’ils signaient des films de propagande, soit parce qu’ils étaient interdits. Personne n’était un modèle. Chacun d’entre nous a donc construit son monde à partir de zéro.»
Aujourd’hui, alors que le cinéma coréen est durement frappé par la crise, ces mondes se réunissent. En effet, tandis que Hollywood, dont il refuse les offres, pédale dans la semoule en préparant un remake de son Host, Bong Joon-ho mitonne, avec l’appui de Park Chan-wook comme producteur, l’adaptation d’une bande dessinée, son péché mignon: La Tranceperceneige, des Français Jacques Lob et Jean-Marc Rochette. De quoi mobiliser l’impatience des cinéphiles du monde entier.
9e édition du NIFFF,jusqu’au 5 juillet. www.nifff.ch