«C'est la première fois que je joue dans une comédie. Avec 10 000 personnes hilares sur la Piazza Grande, c'est le plaisir sans fin de ma vie qui se poursuit. La tragédie implique une certaine sincérité. Alors que la comédie, c'est du grand art: il faut tenir le même esprit, le même rythme, la même précision toute la journée. J'ai toujours rêvé d'être un gangster joue sur l'absurde, et j'ai eu à tenir le choc face à des gens comme Edouard Baer, Jean Rochefort, Alain Bashung, Laurent Terzieff, etc.» Pas la peine de chercher: il n'y a pas eu un moment où Anna Mouglalis s'est sentie impressionnée. Elle en a même profité pour apprendre à cadrer une séquence ou à poser les rails d'un travelling.
Etoile de la maison Chanel depuis 2002 - depuis que Karl Lagerfeld avait parlé d'elle comme d'un mélange béni entre «la voix de Jeanne Moreau, la force d'Anna Magnani et la présence d'Ava Gardner», rien que ça -, Anna Mouglalis n'avait pas joué, jusque-là, dans des films très joyeux. Peu sont sortis, question de choix plutôt très (voire trop) pointus, mais leurs titres parlent d'eux-même: Le Loup de la côte Ouest, La Maladie de la mort, Après le déluge, Romanzo Criminale, Mare Nero... Comme si l'adolescente révélée par Claude Chabrol en 2000, grâce à Merci pour le Chocolat où elle habitait un petit appartement de la place de la Palud à Lausanne, avait un côté bégueule.
Pas du tout: Anna Mouglalis vit plutôt avec le fait de n'être, comme titrait le quotidien Libération en 2003, «pas la moitié d'une icône»: «J'aurais bien aimé tourner davantage de comédies, mais leur niveau, en France, n'est pas souvent bon. Je déteste l'humour gras, vulgaire, et les filles grandes et pas trop moches n'ont jamais des choses très drôles à faire dans ces films: si vous regardez bien, tout le monde fait rire sauf la fille. A moins qu'elle accepte de jouer la débile.»
Elle a donc préféré attendre son heure. Au cinéma, en s'offrant à l'expérimental. Au théâtre, avec Christine Boisson ou Olivier Py. En refusant beaucoup de films aussi. Vraiment beaucoup. «J'en ai fait ma spécialité: j'aime trop le cinéma pour galvauder l'idée que j'en ai.» Mais elle n'a pas cessé de travailler. Avec une maturité étonnante pour son âge. «Je trouve très doux de vieillir. Je trouve que la vie est de plus en plus belle. Petite, je rêvais d'être majeure. Et je suis partie de la maison alors que j'étais encore mineure. J'aime être libre. Libre de vieillir. Même l'idée de la mort m'est douce.»
Une seule chose la fait sortir de ses gonds: un projet artistique qui part à la dérive, du commercial par exemple: «Je pense sincèrement que nous ne sommes pas obligés de faire des films vulgaires et moches pour que ça marche. C'est pour ça que le film de Samuel me comble: c'est drôle et plein d'humanité. Tout le contraire des Bronzés 3 qui sont, pour moi, la honte de notre métier. Qu'est-ce qu'on donne à l'humanité avec un film aussi laid, aussi facile? Je me suis sentie salie en le regardant. C'est comme s'ils avaient craché sur 10 millions de spectateurs. Ce qui est triste, c'est que la majorité des films sont comme ça: une lumière moche, des plans inintéressants, des idées bêtes.»
Anna Mouglalis offre un sourire entendu quand on lui suggère qu'elle a peut-être, avec Samuel Benchetrit, trouvé son double parfait, à son niveau. Comme Gena Rowlands et John Cassavetes. Comme Anna Karina et Jean-Luc Godard. «Comme Fellini et Giulietta Massina», rêve-t-elle à haute voix. A cette différence qu'elle ne se contentera pas d'être la muse de son chéri: durant sa grossesse, elle a écrit un scénario, une comédie vampirique, où lui jouera. «Je suis sa muse, mais il est aussi ma muse. Il n'y a pas de raison, quand on s'aime, pour que l'inspiration ne circule que dans un sens.» L'actrice baisse les yeux. Elle sourit tendrement. Saül s'est endormie.