Marek Janowski n’aime pas les adieux. Le chef allemand s’est fait prier pour être applaudi seul, vendredi soir au Victoria Hall de Genève. C’était son dernier concert en tant que directeur musical et artistique de l’OSR (Neeme Järvi lui succédera en septembre). Gagné par une forme de pudeur, il a voulu être applaudi en compagnie de ses musiciens. Pour finir, il a accepté de monter seul sur le podium. Après quelques secondes, il est parti en saluant brièvement le public, lui laissant à peine le temps de manifester sa reconnaissance après sept ans de règne à l’OSR.

Anti-star et fier de l’être, Janowski voue un respect presque sacré à la partition et au compositeur – ce qui ne veut pas dire qu’il se considère insignifiant. Il avait choisi Bruckner, son fétiche, pour marquer le concert d’adieu (donné la veille à Lausanne). Il abordait la 3e Messe en fa mineur, une œuvre colossale, précédée de la ravissante 6e Symphonie de Schubert en apéritif.

Le rebond et le mordant

Ce qui frappe, c’est la sobriété du geste et le rebond dans la symphonie de Schubert. Les cordes sont tour à tour vives et soyeuses, les bois s’en donnent à cœur joie. Le caractère légèrement opératique du premier mouvement, quelque part entre Weber et Rossini, la veine mélodique de l’«Andante», le mordant du «Scherzo» et l’espièglerie du «Finale» sont finement rendus. Pas de lourdeurs, un classicisme de goût. Et puis du charme, surtout, ce qui n’a pas toujours été le fort du chef!

La Messe de Bruckner est autrement plus imposante. Si Janowski a choisi cette œuvre, c’est pour compléter le cycle des neuf Symphonies de Bruckner qu’il enregistre actuellement avec l’OSR sous le label PentaTone (d’où la forêt de micros sur la scène). Comme toujours, le chef domine les grandes arches de l’écriture brucknérienne. Il juxtapose les blocs avec art, maîtrise les transitions, même si l’on ressent des longueurs, comme dans le «Credo» qui dure plus de quinze minutes.

Le magnifique Rundfunkchor de Berlin est fidèle à lui-même. On est subjugué par l’équilibre des voix, la justesse de l’intonation. D’emblée, le «Kyrie» dégage une ferveur très intériorisée. Les voix sont posées sur un socle souple mais ferme. Dans les sections fuguées, c’est leur virtuosité qui éclate. La basse Franz-Josef Selig se distingue parmi les voix solistes: timbre abyssal, noblesse des intentions. Le soprano acide de Lenneke Ruiten (remplaçant Lisa Milne au pied levé), le ténor un peu timide Shawn Mathey et le mezzo d’Iris Vermillion ne suffisent pas à insuffler son ivresse au «Benedictus», malgré l’accompagnement lyrique de l’OSR. On reste par instants au bord de l’émotion, comme si Janowski voulait assurer les bases, alors que dans le «Kyrie» initial, le «Gloria» et l’«Agnus Dei», la ferveur domine.

Bruckner l’idéal

Ce bel adieu est à l’image de ce que Janowski a apporté: rigueur et constance. L’homme, qui a d’emblée été séduit par les cuivres de l’OSR, a pensé que Bruckner serait le compositeur idéal pour l’orchestre. Il a lancé l’enregistrement intégral des symphonies sous le label PentaTone. Les premiers volets ont eu de bons échos dans la presse internationale. Certes, tout n’est pas réussi, il y a des baisses de régime, sans doute parce qu’il ne parvient pas toujours à lâcher la bride. Marek Janowski le perfectionniste est son pire ennemi. Qu’il cède le contrôle et fasse confiance aux musiciens, et la musique naît d’elle-même.