Elle a été la reine de la rentrée littéraire, multipliant les couvertures de magazines et les interviews. Elle est depuis lundi 2 novembre à 12h45, l’élue des Goncourt. Avec ses «Trois femmes puissantes», publié sous la couverture crème bordée de rouge et de noir de Gallimard, Marie NDiaye a convaincu cinq membres de l’Académie de lui accorder leurs suffrages, contre deux à Jean-Philippe Toussaint – qui signait le très beau «La Vérité sur Marie» chez Minuit – et une voix à Delphine Le Vigan et ses «Heures souterraines» parues chez Jean-Claude Lattès. Aucune voix n’est allée à Laurent Mauvignier qui publiait, également chez Minuit, «Des Hommes».

L’étoile bleue

Même si les éditions de Minuit n’emportent pas la palme cette année, c’est sous le signe de l’étoile bleue sur fond blanc qu’a eu lieu cette élection. Deux romans de la maison parisienne du 7 rue Bernard-Palissy étaient en effet au menu de la toute dernière sélection des jurés du Goncourt. Et Marie NDiaye, elle-même, doit le lancement de sa carrière de romancière à Jérôme Lindon qui publia son premier livre, «Quant au riche avenir…», en 1985 alors que, née en 1967, elle n’avait que 18 ans.

Un sommet

Pour «La Femme changée en bûche» (1989), «En Famille» (1991), «La Sorcière» (1996) et jusqu’à «Tous mes amis» (2004), un recueil de nouvelles, Minuit a été son éditeur jusqu’en 2004. Marie NDiaye n’avait fait qu’une brève incursion chez P.O.L où elle publia en 1987, son second livre, un exercice de style d’une seule phrase intitulé «Comédie Classique». Lorsqu’en 2001, elle reçoit le Prix Femina pour «Rosie Carpe», Marie NDiaye est encore sous la couverture étoilée. Après 2004, elle rejoint Gallimard, publiant d’abord au Mercure de France son «Autoportrait en vert» (2005) puis, dans la collection crème «Mon cœur à l’étroit» (2007) et enfin ces «Trois Femmes puissantes», dont le titre, tout comme la substance, reflètent la puissance d’une auteure parvenue au sommet de sa langue, de son expression, de son art du récit. Alors même qu’il plonge dans le chaos et les solitudes du monde contemporain, ce roman témoigne d’une étonnante plénitude.

Un monde magique

«Trois femmes puissantes» est un triptyque voué à la conscience de soi, à l’interrogation sur le monde et sur les liens familiaux, aux moyens d’exister et de se battre dans un monde chaotique, changeant, trompeur. Norah, Fanta, Khady Demba toutes trois font face à l’exil, au mépris, aux hommes qui les aiment ou les trahissent tour à tour. Rien n’est certain dans leur monde: la famille se dérobe ou pèse d’un poids écrasant; les enfants se dressent comment des points d’interrogation narquois ou vengeurs; le crime rôde; la déchéance et la pauvreté menacent. Le réel lui-même est sans cesse traversé par l’intrusion du fantastique: oiseaux magiques qui d’un coup d’aile ou de griffe prodiguent leur aide ou leur blessure. Oiseaux muets, sentinelles d’un monde plus vaste, passeurs aussi vers des états nouveaux. «Le surnaturel m’est naturel. Même dans la vie, j’ai une propension à imaginer le merveilleux, à envelopper de magie. Il m’est alors plus facile de créer un objet artistique à ma main», expliquait-elle dans l’entretien accordé au Samedi culturel.

Le courage des migrants

La force de ces trois récits, leur étrange puissance malgré les tragédies de chacune, réside dans l’étonnante confiance que Norah, Fanta et Khady Demba trouvent en elles-mêmes. Une confiance, une foi même, qui va croissant de récit en récit et qui offre au lecteur une forme de paix en même temps que la possibilité d’un regard neuf sur le monde contemporain. Car, pour la première fois aussi frontalement, Marie NDiaye, écrivain française de père sénégalais, inscrit son travail dans l’actualité. Elle suit, à sa manière, ces Africains embarqués pour des odyssées folles entre leur continent et l’Europe; elle place son écriture précise, raffinée, prenante, dans cet espaces rempli de rêves, d’amours, de haines, de promesses, de déchirement et de drames qui sépare en géographie et en pensées l’Afrique de l’Occident.» Dans leur traversée de la souffrance, ils sont d’une vaillance extraordinaire, disait-elle des migrants dans son entretien au Samedi culturel. J’ai essayé de trouver une forme esthétique qui restitue ce courage.»