Marius Borgeaud, peintre de la paix intérieure

Exposition La Fondation de l’Hermitage ramène au jour les formes et les couleursdu peintre vaudois

Elle présente une centaine de toiles sur les 300 que l’artiste a laissées à sa mort

Au revoir, et merci! C’est ce que le visiteur de la Fondation de l’Hermitage a envie de dire au peintre lorsqu’il quitte son monde enchanté. Banal, mais enchanté. Sur les quelque 300 tableaux qu’a laissés Marius Borgeaud à sa mort, en 1924, plus d’une centaine sont exposés cet été à Lausanne. Y compris le dernier, cette Chambre blanche fondée sur le bonheur du couple (l’artiste était marié de peu à la jeune Madeleine, rencontrée quelques années plus tôt), mais aussi sur l’absence et le silence. Hormis les signes d’une paisible intimité, deux bols noirs sur la nappe impeccable, deux chaises, un chapeau de paille accroché ici, un canotier posé là, et des époux unis dans un même cercle magique, dans les cadres accrochés au mur, l’impression est d’un grand vide, lié au blanc qui est le thème de l’œuvre. La canne restée au dossier de la chaise? On finira par la ranger, ou la donner, de même que le canotier. Le paysage ensoleillé, par la fenêtre fermée? «Il» est parti là-bas, et ne reviendra pas.

Quel chemin, se dit-on, à partir des premiers paysages impressionnistes, qui révèlent plus qu’une main sûre, une sensibilité. Ce chemin passe par la simplification, la pauvreté et l’humilité, notamment dans la représentation touchante de chambres à coucher de célibataire, à partir de 1908, lorsque l’artiste aura abandonné le paysage. Des chambres si petites que l’armoire à glace semble… une armoire à glace, géante. Et que le lit-bateau suffit presque à les meubler. Quelques chaises, parfois cette petite table ronde qui est un peu la marque de fabrique de Marius Borgeaud, un broc posé au sol, toujours une gravure ou une peinture au mur. Et la fenêtre, grande par rapport à l’espace de la chambre, souvent fermée, ouverte quelquefois, par exemple dans la vision de cette Chambre blanche à la fenêtre ouverte de 1911, qui par-delà les années fait pendant à l’ultime composition. Une œuvre ouverte donc, aérée, et prometteuse.

On pense bien sûr à Vincent Van Gogh et à sa chambre à Arles, lorsqu’on se tient dans la petite salle dédiée à ce thème, modeste et empreint de sérénité. On peine à imaginer les turbulences qu’a traversées Marius Borgeaud avant d’en arriver à cette sûreté et à cette économie de moyens. L’héritage paternel dilapidé, le choix tardif d’une carrière picturale, à l’âge de 40 ans. Revenons donc à ces paysages qui marquent les débuts d’un homme mûr et d’un peintre qui, né à Lausanne en 1861, était monté à Paris d’abord pour y mener la grande vie, et ensuite pour y fréquenter les cours de Cormon et Humbert à l’Ecole des beaux-arts, s’y confronter aux toiles de Sisley et Pissarro et s’y lier avec Francis Picabia. Quelques belles peintures de ces inspirateurs et amis figurent à l’orée de l’exposition, notamment La Seine à Argenteuil de Sisley, où les nuées se reflètent dans le cours tranquille de l’eau, et ces superbes Moulins (1907), d’une facture délicate, de Picabia, où l’on ne reconnaît pas le futur dadaïste.

Marius Borgeaud, pour sa part, renonce assez vite aux effets romantiques du soir, et ses Moulins à lui, en 1904, se caractérisent d’ores et déjà par la simplification des formes et la sobriété des teintes. Après un dernier Coup de vent (1908), le peintre replie son chevalet, remise son siège pliable et rentre non à la maison, mais dans les maisons – ces intérieurs bretons qu’il s’attachera à dépeindre, puisqu’il passera dorénavant la moitié de l’année en Bretagne. Ce qu’il s’apprête à montrer, c’est moins la Bretagne du cercle de Pont-Aven, teintée d’idéalisme et de primitivisme, mais celle de ses habitants, les joueurs de pétanque, les piliers de bistrot, parfois affalés devant leur verre, les serveuses, les pharmaciens. Finement distribuée, l’exposition montre tout cela, l’insistance sur le contre-jour, les ombres qui font des formes au sol, la clarté qui cisèle les silhouettes.

La nature morte, genre rassurant, est bien entendu représentée, où le peintre passe maître, non en suggérant les matières, les textures, les saveurs, mais en synthétisant les formes, obtenant des harmonies chromatiques (cet alignement de pelotes de fil), des assemblages formels. L’œuf à la coque n’a d’un œuf que l’ovale, le beurre semble du plâtre, l’orange est une boule mate et la rose un chiffon savamment noué. Le tout est une nature morte de Marius Borgeaud! Quant aux personnages des scènes bretonnes, du genre statique, ce sont des archétypes. Des figures en noir, parfois coiffées de blanc, ou en chapeau. Le commissaire de l’exposition, Philippe Kaenel, a fait le choix d’amener quelques possessions de l’artiste, qui humanisent son art, l’expliquent aussi. Cette collection de gravures d’Epinal, incluses dans les tableaux en guise de mise en abyme, et cette petite table ronde qui, porteuse de pinceaux dans un pot et associée au chevalet du peintre, suffit à reconstituer l’atelier. Notons la présence d’un intérieur de Vallotton et d’un ravissant paysage du Douanier Rousseau, qui indiquent où situer notre Marius Borgeaud: exactement entre ces deux peintres, mais un peu en marge, car tout véritable artiste se trouve en marge de ses confrères.

Fondation de l’Hermitage (route du Signal 2, Lausanne, tél. 021 312 50 13). Ma-di 10h-18h (je 21h). Jusqu’au 25 oct.

L’œuf à la coque n’a d’un œuf que l’ovale, le beurre semble du plâtre et la rose un chiffon savamment noué