Elle avait des blondeurs platinées, les formes d’une grâce fellinienne, quelque chose entre le blanc et le noir – elle ignorait qui était son père, et sa mère elle-même, qui l’avait eue à 14 ans, s’en souvenait à peine. Etta James est morte vendredi à l’âge de 73 ans, démente et leucémique, après s’être battue encore pour récupérer sa fortune. Elle chantait «At Last», enfin, l’appel sensuel et tragique à une libération qu’elle attendait depuis toujours.
Née Jamesetta Hawkins, le 25 janvier 1938 à Los Angeles, la chanteuse ne doute pas un instant de sa vocation. Elle lui tombe dessus, un matin d’adolescence, dans une église californienne. Elle enregistre des rhythm and blues. C’est une époque aux Etats-Unis (cela n’a pas tellement changé) où les Blancs chantent du rock and roll et les Noirs du r’n’b. Etta avec son teint créole et ses cheveux décolorés passe la frontière. Elle est une des rares artistes dans le pays à être inscrite autant au Rock and Roll Hall of Fame qu’au Blues Hall of Fame. Cela veut dire beaucoup de sa capacité à transcender les hermétismes de la société pour laquelle elle chante.
Parcours chaotique
A 22 ans, Etta James signe pour le label Chess de Chicago; Muddy Waters, Chuck Berry, d’autres guitares brandies et des voix acides l’y ont précédée. Etta enregistre avec des grands orchestres, comme celui de Glenn Miller, mais aussi avec des petites formations raffinées où sa voix, une des plus acrobatiques et érotiques de son temps, prend la place qu’elle mérite. Elle choisit des chansons noires, «All I Could Do Was Cry», des refrains de solitude marinée, «Trust in Me». Multiplie les hits. Et sombre une première fois dans l’oubli d’une toxicomanie dévorante.
Il y a quelques années, pour Obama, Beyoncé, en héritière possible, avait chanté «At Last». Elle s’était mise en blonde pour ressusciter le standard. Elle donnait au morceau une résonance politique. «At Last», comme dans l’expression afro-américaine, «free at last», libre enfin. La vie d’Etta, d’une violence rare, était comme condensée dans ces quelques couplets d’une audace mélancolique.