«Naissance d’un pont», paru chez Verticales, a fait l’objet d’une chronique d’Eléonore Sulser, parue dans Le Temps le 16 octobre, que nous republions à cette occasion.

Un chantier en roman

C’est un projet total. Raconter un grand chantier de notre temps, un grand chantier de l’ère mondialisée où les mandataires sont californiens, les architectes brésiliens, les chefs de chantier français et les ouvriers chinois… mais pas seulement. Le roman sera donc, forcément, choral; plusieurs histoires individuelles se dessineront, se superposeront, se croiseront; le livre braquera ses projecteurs d’une figure emblématique à l’autre (un patron, un ouvrier, un ingénieur, un grutier, un écolo, un mafieux, etc.), égrenant des patronymes exotiques – Georges Diderot, Mo Yun, Duane Fischer, Buddy Loo, Katherine Thoreau, Soren Cry, etc. –, il mêlera le récit intime à celui de la cathédrale moderne qui s’édifie lentement à coups de tonnes de béton et de ferraille. La langue aussi devra s’adapter: elle sera plus âpre, plus rêche, plus technique, se délectera de termes industriels.

Voilà donc plus de 300 pages d’une prose baroque qui tente, et c’est son mérite, de donner à entendre et à voir le bruissement et l’activité qui se déploient autour de grands chantiers mondiaux, autour de ces édifices emblématiques et hypermédiatisés qui font la gloire et l’image d’un pays, d’une région. Il y a de l’audace, de la hardiesse, une façon d’être ­attentif au contemporain, dans ce projet de Maylis de Kerangal, qui signa Corniche Kennedy (Verticales, 2008). Mais il y a aussi, dans ce livre, un programme qui sourd sans cesse sous le texte, une pesanteur des mots et des récits, des images souvent trop attendues; une sorte d’encombrement dont la pompe séduit d’abord, avant de plomber peu à peu le roman.

Article paru dans le Samedi culturel du 16 octobre 2010