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Une exposition double retrace au Kunsthaus de Langenthal et à l’espace WallRiss à Fribourg la démocratisation des raves et d’Internet dans les années 1990. L’un de ses curateurs, Sylvain Menétrey, commente le phénomène

La méga-rave, foyer d’utopies artistiques
Courant Une exposition double retrace au Kunsthaus de Langenthal et à l’espace WallRissà Fribourg la démocratisation des raves et d’Internet dans les années 1990
L’un de ses curateurs, Sylvain Menétrey, commente le phénomène
Il y a vingt ans, l’ancienne usine Gugelmann de Roggwil, près de Langenthal, servait de lieu de pèlerinage obligatoire pour des milliers d’amateurs de sonorités binaires venus de Suisse et d’ailleurs participer à des «méga-raves». En 1994 également, la planche à surfer le World Wide Web Netscape Navigator était lancée et avec elle la démocratisation d’Internet.
C’est cette période d’utopie collective et digitale qu’évoque Megarave-Metarave, une proposition distribuée entre le Kunsthaus de Langenthal et l’espace d’art indépendant WallRiss à Fribourg. Une exposition d’art qui présente des travaux de ces années-là ainsi que des pièces réalisées pour l’occasion, qui toutes mettent en scène les fantasmes d’un avenir rêvé, celui qui semblait se dessiner durant ces années 1990. Conférences, projections de films, soirées et workshops complètent le programme.
Cette exposition arrive à point nommé. En effet, les signes d’une réappropriation à grande échelle de l’esthétique véhiculée par les raves et le Web des origines se multiplient. Dans la grande distribution, où les vêtements à motifs pilules multicolores et smileys visent la clientèle plus ou moins pubère. Dans le prêt-à-porter, où des marques comme Kenzo misent sur l’esthétique cyber.
Autre indice, le véritable culte voué au gif animé, ces séquences d’images qui égayaient les pages de l’Internet primitif et qu’on retrouve aujourd’hui sur les nombreuses pages Tumblr alimentées par des nostalgiques de ces reliques. Symptôme supplémentaire, le retour dans le vocabulaire de certains termes: «Dernièrement, un ami organisait son anniversaire et sur l’invitation il conviait les gens à une «rave», un mot qu’il n’aurait pas utilisé deux ans plus tôt», explique Sylvain Menétrey, co-curateur de Megarave-Metarave aux côtés de Nicolas Brulhart et Lauris Paulus et collaborateur régulier du Temps.
Le Temps: Vous identifiez l’année 1994 comme un moment charnière. Pourquoi?
Sylvain Menétrey: Il s’agit du point de bascule, du moment où selon le modèle de Roggwil, les raves se sont transformées en des manifestations grand public comptant près de 15 000 fêtards venus de Suisse, des Pays-Bas, de France ou d’Allemagne, par des trains affrétés par les CFF. Et c’est aussi en 1994 qu’est lancé Netscape Navigator, l’interface qui a démocratisé l’usage d’Internet. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est né il y a 20 ans, en 1994, lorsque le Web et les raves sont sortis de l’underground.
– «Megarave-Metarave» est une exposition d’art, sans volonté historique. Pourquoi?
– Comme nous sommes trop jeunes pour avoir participé à ces méga-raves [ndlr: les curateurs sont tous trentenaires], notre but était de proposer une relecture fantasmée de cette époque, d’écrire une histoire alternative et subjective, ainsi que de questionner la culture digitale d’alors au regard du présent, et vice versa.
– Quel est votre principal constat?
– Que cette époque fut peut-être la dernière à avoir nourri autant d’utopies. Celle du Web comme un lieu de liberté et d’émancipation en dehors de la société et de ses règles, de mise en réseau (chacun derrière son ordinateur mais tous ensemble), un espace de contre-pouvoir. Un peu comme les raves, qui – à l’origine – étaient des fêtes sauvages, dont le lieu était communiqué par bouche-à-oreille puis SMS, des soirées hédonistes, de communion entre participants. Or, toutes ces utopies se sont évanouies au fil des ans. Le Web n’est pas devenu la zone libre qu’on imaginait, les raves ont fait place à des manifestations commerciales.
– Dans le catalogue de l’exposition, vous évoquez l’ambivalence de ce qu’on désigne comme le futur même.
– Lorsque la techno est apparue, cette musique pouvait aussi bien venir du passé ou de tambours du fin fond de l’Afrique que du futur. Et c’est souvent ce sentiment-là qui revient avec les innovations technologiques. Présentées comme le changement de paradigme tant attendu, elles entraînent une perturbation de la temporalité, on ne sait plus très bien ce qui est le passé, le présent et le futur. Il était important pour nous de réfléchir à ces phénomènes qui chamboulent la course linéaire du temps.
– Quelle est l’évolution de la culture digitale d’alors qui vous semble la plus intéressante aujourd’hui?
– Il y a vingt ans, des artistes agissaient en dehors du système de l’art pour créer des œuvres dont la seule destinée était virtuelle. La génération actuelle se sert de cette esthétique digitale et des machines pour créer des objets matériels.
Dans les années 1990, l’art lié à la technologie revendiquait sa nature immatérielle par conséquent hors du marché et de son caractère spéculatif. Aujourd’hui, le discours des artistes qui usent de l’esthétique digitale est beaucoup plus ambigu. Comme chez Warhol à l’époque, il est difficile de déceler une position clairement critique lorsqu’ils présentent par exemple des objets inspirés des grands groupes qui monopolisent le Web. On oscille entre fascination, rejet et simple miroir, ce qui rend tout cela passionnant. De l’art aux rassemblements de jeunes en passant par les Nike futuristes que tout le monde porte aux pieds, on ressent un sentiment d’accélération lié à la technologie semblable à celui des années 1990. C’est ce qui rapproche les deux époques.
Megarave-Metarave, jusqu’au 16 novembre 2014,Kunsthaus Langenthal et WallRiss à Fribourg. www.kunsthauslangenthal.chhttp://wallriss.ch