Le Brexit oublié, les bruits de bottes entre l’Iran et les Etats-Unis étouffés… Le Royaume-Uni ne parle plus que de ça, ou presque: Meghan Markle et le prince Harry, aujourd’hui connus comme duchesse et duc de Sussex, ont annoncé qu’ils prenaient leurs distances avec la famille royale, sans pour autant renoncer à leurs titres. La réaction des médias britanniques a été féroce. Le Daily Mail titre sur la «fureur» de la reine, qui serait «profondément déçue». Le Daily Mirror renchérit: «Ils n’ont même pas prévenu la reine.» Le ton général condamne les deux tourtereaux, «qui ne voient pas leurs privilèges» et «sont repliés sur eux-mêmes», grince Sarah Vine, chroniqueuse du Daily Mail.

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Condamné à ne jamais monter sur le trône (il faudrait le décès de son père, de son frère et des trois enfants de ce dernier pour que le cas se présente), détestant la presse et l’intrusion dans sa vie personnelle, Harry Windsor peine à trouver sa place depuis longtemps. «Depuis qu’on l’a vu derrière le cercueil de sa mère à l’âge de 12 ans», précise Peter Hunt, ancien correspondant royal de la BBC, qui rappelle que le prince de 35 ans a été traumatisé par le décès brutal de Diana en 1997. «J’ai eu des conversations sans fin avec lui où il disait: «Je veux être normal, mais je ne le peux pas, parce que je suis Harry.»

Longue lignée

On n’échappe en effet pas facilement à la famille royale anglaise, surtout quand on est second couteau. La tentative d’éloignement du duc de Sussex fait suite à une longue lignée de membres plus ou moins mineurs de la famille royale qui sont autant de tragédies personnelles effacées de l’histoire officielle. Le plus connu est l’ancien Edouard VIII, qui a abdiqué en 1936 pour pouvoir épouser Wallis Simpson, une Américaine divorcée. Après son départ, il a vécu une vie oisive et triste dans le luxe entre Paris et New York, côtoyant les personnalités du beau monde et recevant à grands frais. Jamais il n’a réussi à se réinventer un rôle.

La sœur de la reine, la princesse Margaret, décédée en 2002, était plus flamboyante et drôle que la souveraine (ce qui n’est pas forcément mettre la barre très haut). Sa vie a été un drame, entre un mariage interdit par sa sœur, un mariage catastrophique avec un photographe violent et une overdose de somnifères dans les années 1970 (présentée dans la série The Crown comme une tentative de suicide, mais cela n’a jamais été confirmé).

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Le prince Andrew, troisième enfant de la reine, n’a pas mieux réussi. Longtemps représentant du Royaume-Uni pour la promotion du commerce extérieur, il a multiplié les gaffes, affichant un penchant prononcé pour les autocrates et les milliardaires les plus sulfureux. Sa catastrophique interview, le mois dernier, où il tentait de s’expliquer sur ses liens avec le pédophile américain décédé Jeffrey Epstein, a désormais mis fin sa vie publique.

Aucun rôle majeur

Les seconds couteaux peinent à trouver leur place pour une raison évidente: ils ne sont appelés à aucun rôle majeur et leur seule responsabilité est de ne pas faire de vagues et de sourire lors des cérémonies protocolaires. A ceci s’ajoute le rôle très dur joué par la monarque elle-même. «La famille royale est passée maître dans l’exécution, bien faite et sans sang, de tous les outsiders, explique Marc Roche, biographe de la reine (Elizabeth II, une vie, un règne, Editions La Table Ronde, 2012). C’est particulièrement vrai de cette reine, qui s’est débarrassée de toutes les branches pourries.»

Elisabeth II a toujours placé la sauvegarde de la monarchie au-dessus des autres considérations. Elle a interdit le mariage de sa sœur avec l’écuyer de la reine mère; a coupé les cordons de la bourse à Diana après son divorce d'avec le prince Charles; et «elle n’a pas facilité l’arrivée de Meghan Markle dans la famille», continue Marc Roche, en attribuant au jeune couple un simple rôle sans importance, chargé des relations avec la jeunesse du Commonwealth.


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Le problème de l'argent public

Au cœur du dilemme de Harry et Meghan se trouve l’argent public dont ils disposent. Les contribuables ont payé 2,6 millions de francs, selon la presse britannique, pour refaire leur résidence; ils financent aussi leur protection rapprochée, pour une somme inconnue; ils touchent également une enveloppe de la reine – donc de l’argent public – pour leur rôle protocolaire… Si le couple se retire de la vie officielle, «le grand public risque de se demander pourquoi il faut financer la sécurité de personnalités qui vivent à l’autre bout du monde», souligne Peter Hunt. Très conscient du problème, le couple princier affiche sa volonté de devenir «financièrement indépendant», mais il n’explique pas comment.

Ces secousses ne devraient cependant guère avoir de répercussions sur la reine elle-même, comme le prouve la réaction des tabloïds britanniques, qui prennent son parti. A 93 ans, celle-ci est désormais intouchable, n’ayant pratiquement jamais commis de gaffe. La nébuleuse qui entoure la monarchie n’a en revanche pas fini de faire parler d’elle.