Dès mercredi, le procès «Charlie» va mettre en scène les fractures de la France
Revue de presse
Le sort qui attend les seconds couteaux des attentats de «Charlie Hebdo» et de l’Hyper Cacher en janvier 2015 se joue à Paris devant la justice dès ce mercredi à Paris. La guerre idéologique est déjà repartie de plus belle

Le ministre français de l’Intérieur a donné le ton dès lundi: ce procès sera éminemment politique. Plus de 8000 personnes sont inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), a annoncé Gérald Darmanin, en soulignant que la menace terroriste «demeurait extrêmement élevée sur le territoire» et en précisant que le «risque terroriste d’origine sunnite demeurait la principale menace à laquelle est confronté notre pays».
«Nous ne renoncerons jamais»
Deux jours avant l’ouverture du procès très attendu des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, en janvier 2015, le ministre a aussi assuré que «la lutte contre le terrorisme islamiste était une grande priorité du gouvernement»: «Nous mènerons un combat sans relâche […], nous ne renoncerons jamais à traquer […] ces ennemis de la République.» Selon lui, c’est «la menace endogène» qui est «la plus prégnante et la plus forte, […] nourrie par la propagande des groupes terroristes, inspirée des vétérans du djihad mais également par l’emprise que les tenants d’un islam radical s’efforcent d’avoir dans certains de nos quartiers». Procès politique. Procès idéologique.
Il y a 5 ans, le monde était Charlie.
— 🐆 Joe Exotic 🐅 (@LTSmash420) September 1, 2020
À l'aube du procès des présumés complices, retour sur ces trois jours qui ont changé la France.@ALEX451618 @PCroquet
pic.twitter.com/OsZibuW6i6
Ce n’est pas une première pour la justice française, mais c’est inédit en matière de terrorisme: le procès sera entièrement filmé «au titre de la constitution d’archives historiques de la Justice», fait valoir le Parquet national antiterroriste. Les débats seront enregistrés par les caméras déjà présentes dans la salle d’audience. Elles seront reliées à une régie technique, elle-même gérée par un réalisateur et un technicien.
Mais le correspondant à Paris de la Tribune de Genève et de 24 Heures en est bien conscient: «Colossal par son organisation», ce procès «sera aussi potentiellement frustrant et particulièrement délicat par les enjeux qui le sous-tendent» dès mercredi. Frustrant? C’est que les «accusés présents pourraient faire figure de comparses dans un procès qui les dépasse, en l’absence des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, morts»…
… Sur les questions fondamentales, les commanditaires, les motivations, ils ne semblent pas de taille à apporter des éclaircissements
On a affaire à «une brochette d’anciens traîne-savates de banlieue, anciens dealers, trafiquants en tout genre, d’armes et de voitures volées, ayant tissé leurs liens au hasard de leurs rencontres en prison, la grande école de la délinquance, selon Marianne. A première vue des seconds couteaux. Des demi-soldes qui ne paient pas de mine, et qui devraient s’avancer à reculons, tout tassés devant leurs juges. Durant l’instruction, ils ont tous renié le moindre islamisme combattant. Ils ont tous juré qu’ils n’avaient rien vu ni su de l’islamisme galopant des deux frères Kouachi et de Coulibaly, le caïd de Grigny.»
Le fameux «refus de l’amalgame»
Alors, «parviendra-t-on à répondre» aux nombreuses questions qui se posent «sans les accabler de la culpabilité des absents?» se demandent encore les deux quotidiens lémaniques? Rien n’est moins sûr, car il va falloir maintenant «affronter cette fracture qui divise la France autour des notions victimaires de l’islamophobie […]: les milieux – souvent de gauche ou écologistes – qui critiquaient Charlie Hebdo pour ses excès et sa prétendue islamophobie, le tout au nom du refus de l’amalgame et de la défense des descendants d’immigrés»…
… Ces milieux-là, donc, ont-ils affermi le bras des terroristes?
C’est la deuxième question importante, elle met en scène rien de moins que la liberté d’expression en démocratie «plus de cinq ans après les meurtres qui ont marqué le début de la vague terroriste qui a fait 258 morts en France», rappelle La Dépêche du Midi. A ce propos, François Molins, alors procureur de la République de Paris, se souvient d’une «scène de guerre» en janvier 2015 face aux micros d’Europe 1 et explique au Figaro pourquoi il existe encore «des raisons d’être inquiets face à la possibilité de récidive de la part d’auteurs d’actes terroristes islamistes».
«Débat impossible ou hystérique»
«Comme l’essentiel est en jeu, le débat est impossible ou hystérique, d’après L’Express. Depuis cinq ans, les fossés ne cessent de se creuser, ce qui soulève un problème politique insoluble.» Rappel historique: «Dix-sept janvier 2015. La marche en hommage aux victimes de Charlie et de l’Hyper Cacher s’est déroulée il y a moins d’une semaine. A Brétigny-sur-Orge, deux hommes tiennent un meeting commun contre «l’islamophobie»: le directeur de Mediapart.fr, Edwy Plenel, […] et le prédicateur Tariq Ramadan, qui n’a pas encore été rattrapé par les accusations de viol. C’est un signal faible sur le moment, fort sur la durée»:
L’union nationale a déjà vécu, et la gauche va commencer, recommencer plutôt, l’une de ces guerres idéologiques qui jalonnent son histoire
Dans Le Point du 13 août 2020, «l’avocat de Charlie Richard Malka trouve les mots»: «Une partie de la gauche mais aussi de la communauté universitaire, intellectuelle et médiatique en est venue à dire à peu près ceci: pour les catholiques, on était d’accord, mais pour l’islam il faut faire attention, c’est une minorité. On nous expliquait qu’il s’agissait de personnes qui n’avaient pas suffisamment d’éducation pour comprendre l’humour.»
«Sous la mitraille, ça déraille»
D’où ce cri de L’Opinion: «Ce sabordage germanopratin et le contexte politique autour du procès de l’horreur terroriste alertent sur le même affaissement démocratique. Suspicions incessantes en islamophobie, dévoiement de l’histoire, instrumentalisation de la question coloniale, rhétorique de la victimisation et de l’humiliation, repli racisé…» La preuve, s’il en fallait encore une? La voici:
Je vous lance un défi ➡ quel est le mot manquant dans ce reportage concernant le procès des attentats de Charlie Hebdo ?
— Franck Allisio (@franckallisio) August 31, 2020
(spoil : le mot commence par "islam" et finit par "isme") pic.twitter.com/iF5yxZRi70
Et de poursuivre: «L’«identitairement correct» rend suspect, pour ne pas dire coupable, voire illégitime, tout ce qui est censé unir la nation. Sous la mitraille, la fabrique à consensus déraille, le bannissement détrône le pluralisme, la société se fragmente, les médias se polarisent, la politique se décompose et la censure, souvent associée à un moindre mal, progresse»…
Comme si la liberté pouvait être conditionnelle – assez!
«A l’époque, rappelle aussi Le Figaro, le pays scande à l’unisson «plus jamais ça». Cinq ans plus tard, le constat est amer: la France a appris à vivre avec la menace islamiste, plus personne ne peut citer la liste des attentats commis sur notre sol au cri d'«Allah Akbar» tant ils se sont multipliés, et des politiciens continuent à dresser le tapis rouge aux islamistes de tout poil.»
Du slogan à la tragédie
Et dans son éditorial du 30 août, le même quotidien assénait: «Le crayon à papier contre la kalach, l’humour potache contre la guerre sainte… A première vue, oui, la bataille est perdue. D’autant qu’une constante lâcheté habillée de niaiserie fait tomber des pans entiers de la société dans le piège de la lutte contre l’«islamophobie»…» Mais «pour la rédaction de Charlie Hebdo, la policière de Montrouge, les Français juifs de la porte de Vincennes, «la liberté ou la mort» n’était pas un slogan d’estrade, ce fut une réalité tragique. Elle nous oblige. L’évacuer? Ce sont nos ennemis qui choisissent les cibles, pas l’inverse. C’est pourquoi il ne faut rien céder. L’Histoire en témoigne»:
… C’est quand il est sûr de sa force, de son droit, que le pays libre l’emporte sur les «violents»
Enfin, L’Alsace fait elle aussi part de sa «frustration». «Historique. Jamais vu. Prévu pour durer 50 jours. Organisé avec un déploiement de moyens et un luxe de précaution inédits. Couvert par des dizaines de médias du monde entier. Filmé pour la postérité. […] Ce procès, de fait, s’annonce extraordinaire. […] Extraordinaire parce que quatre millions de personnes défilèrent dans les rues de l’Hexagone, par un frisquet dimanche de janvier, pour se dire «tous Charlie», tous unis contre le fanatisme haineux.»
A la veille de l'ouverture du procès des attentats de janvier 2015, @Charlie_Hebdo_ dévoile la Une de demain. La rédaction republie les caricatures de Mahomet qui avaient fait d'eux une cible des jihadistes, avec ce titre "Tout ça pour ça". "Nous ne renoncerons jamais", dit Riss. pic.twitter.com/7sFTZohlDY
— Alexandra Gonzalez (@AlexandraGzz) September 1, 2020
Et aujourd’hui? Reste ceci: «Trois salopards qui ont lâchement emporté dans la mort la certitude de ne jamais avoir à répondre de leurs actes. Mercredi, ils manqueront dans le box des accusés.»
Retrouvez toutes nos revues de presse.