S'il ne fallait garder qu'un seul souvenir du récital de Bo Skovhus dimanche soir au Grand Théâtre de Genève, ce seraient les bis. Le baryton danois, gêné aux entournures jusque-là, se libère avec un lumineux «Willkommen und Abschied» de Schubert. La voix semble enfin épanouie, s'abandonnant avec fougue à l'accompagnement en cavalcades de Stefan Vladar. Les aigus ont de l'éclat («Ihr Götter!», «Ô dieux!» clamé deux fois). Bo Skovhus chante ensuite le poignant Der König in Thule avec une conduite de la ligne qu'on aurait aimée plus présente sur l'ensemble du récital.

Le baryton n'a pas franchement convaincu dans «La Belle Meunière» de Schubert. Sa manière même de se tenir sur scène suggère qu'il doit faire trop d'efforts. Son timbre n'est plus ce qu'il était; la voix manque de lustre, et dès qu'il chante «forte», la ligne devient anguleuse. Plus d'une fois, la voix se décolore et se détimbre quand il chante «piano» dans l'aigu. On rêverait de plus de rondeur, de plus de chaleur aussi, bien que la voix s'égalise partiellement en deuxième partie du cycle.

Ce qui frappe, c'est à quel point Bo Skovhus fait du pauvre meunier un jeune homme colérique et impuissant qui se heurte à l'échec de son amour. D'emblée, le ton se veut énergique, sur un accompagnement très musclé – presque beethovénien! - au piano. Il y a un côté un peu brut et volontaire, comme si ce meunier voulait jouer les gros bras. Les tempi sont par ailleurs très rapides. Certains lieder sont pris au galop, avec une sorte de rage au ventre (la phrase «Dein ist mein Herz» dans le lied «Ungeduld» étant presque criée). On préfère lorsque le baryton suggère d'un joli pianissimo l'éloignement («Von ferne, ganz von ferne!») dans «Morgengruss». On aime aussi sa façon de faire sentir l'abattement du meunier dans «Die liebe Farbe»; ici, l'aigu un peu fragile sert bien le propos.

Mais l'on souhaiterait plus de variations de couleurs, plus d'évolution sur la totalité du cycle. Le pianiste Stefan Vladar oscille entre accents trop appuyés et instants beaucoup mieux habités: son toucher se pare alors d'irisations très expressives. Une «Belle-Meunière» en demi-teinte, donc.