Le 14 juillet 1954, le cercueil de Frida Kahlo, entrait au Palais des beaux-arts de Mexico pour un dernier hommage. Un demi-siècle plus tard la peintre mexicaine signe son retour dans ce vaisseau de marbre blanc, posé au centre de la ville.

Jusqu'au 19 août, et afin de célébrer son centenaire, Mexico accueille une rétrospective sans précédent où figurent des photos, des lettres, et soixante-cinq toiles venues de collections mexicaines et américaines. La Fridamania, née en 2002 avec la sortie d'une grosse production hollywoodienne consacrée à l'artiste, ne s'arrête pas là. Plusieurs pièces de théâtre évoquant sa vie sont à l'affiche. Une sélection d'objets personnels mis sous scellés depuis sa mort sera aussi montrée au public à partir du 5 juillet. La Frida Kahlo Corporation, chargée de gérer les droits de l'artiste, profite également de l'aubaine en lançant cinq modèles de baskets et une ligne de vêtements qui compléteront sa gamme de poupées, de tequilas... ou de lunettes Frida Kahlo.

Les raisons qui ont fait de cette femme une icône mondiale plongent dans sa biographie tourmentée: dans un pays nourri par la culture des telenovelas, Frida ne pouvait être qu'une idole.

Autoportraits du martyr

Née le 6 juillet 1907 dans les faubourgs de Mexico, atteinte par la poliomyélite, Frida est victime à l'âge de 18 ans d'un terrible accident d'autobus. Elle se relève, mais brisée, avec une colonne vertébrale et un bassin fracturés à plusieurs endroits. C'est le début d'un long calvaire, ponctué par 32 opérations chirurgicales, qui scelle aussi son destin: c'est là, sur son lit d'hôpital, que Frida Kahlo commence à peindre.

Ses autoportraits, mettant en scène son corps martyrisé, forment au fil des années une véritable biographie qui laisse pourtant apparaître une autre facette de sa personnalité. «Lorsque Frida se peint, elle manifeste ses états d'âme mais surtout sa dualité, souligne Americo Sanchez, un des organisateurs de l'exposition. Les fleurs et les animaux qui entourent son visage nous révèlent que derrière cette douleur il y a aussi l'amour de la vie.»

Un vent de révolte

Double, Frida Kahlo l'est aussi au sein de ce couple improbable qu'elle forme avec Diego Rivera, le célèbre muraliste. Lorsqu'ils se marient, le 21 août 1929, Diego Rivera est déjà un artiste reconnu, un dévoreur de femmes qui affiche alors deux fois son âge, pèse le triple de son poids. Et pourtant, pendant un quart de siècle, ces deux-là vont explorer les limites de l'art, de la politique, et de la morale. Puisant leur inspiration dans la révolution mexicaine et les cultures indiennes, ils vont croiser le chemin de personnalités aussi diverses que Pablo Picasso, Henry Ford, Léon Trotski, ou André Breton. Avec Diego, Frida Kahlo sera de toutes les mobilisations et manifestations du Parti communiste. Contre Diego, qui ose la tromper avec sa propre sœur, elle oublie son chagrin dans d'autres bras, divorce, se remarie... avec lui.

Une vie tumultueuse dont les photos et les lettres présentées à Mexico offrent un témoignage émouvant: Frida les cheveux dénoués, Frida défilant pour défendre les Républicains espagnols. Frida, enfin et surtout, avec Diego, qu'elle n'aura cessé d'admirer et d'aimer tout au long de sa vie, «plus que (sa) propre peau». Frida était devenue une artiste reconnue mais elle n'aimait pas la gloire, rappelle Roxanna Velasquez, directrice du musée du Palais des beaux-arts. Le protagoniste, celui qui s'affichait au-devant de la scène, c'était Diego.»

Aujourd'hui consacrée, Frida continue de faire souffler un vent de révolte sur le Mexique. Réunis autour du Palais des beaux-arts lors de l'inauguration de la rétrospective, ses admirateurs ont organisé une manifestation bruyante et provocatrice, conspuant allégrement les «bourgeois» invités à l'événement par le président du pays. «Si Frida était encore vivante, pouvait-on lire sur une pancarte, elle serait avec nous.»