Il avait la voix douce et le regard aussi. On le croisait à Lausanne, marchant d’un pas nonchalant d’Aristochat, coiffé d’un chapeau noir et souriant dans une barbe que le temps avait blanchie comme celle de Mr. Natural. Débonnaire et flegmatique, il posait un regard ironique et tendre sur une société dont il déplorait le matérialisme et la violence. Michel Froidevaux aimait les mots et les images. Il était de la race des poètes – et aussi de celle des entrepreneurs. Attention! Il n’était pas du genre à lancer des OPA ou des start-up! Ayant la vocation de montrer des curiosités, de donner à lire des auteurs oubliés ou méconnus et d’introduire un rien de disruption dans la morale bourgeoise, il avait ouvert une galerie et une librairie où l’érotisme tenait une place prépondérante.

Né à Lausanne en 1951 à l’avenue Tissot, du nom de ce docteur ayant échoué à éradiquer les plaisirs solitaires, Michel Froidevaux avait des origines jurassiennes, du Noirmont précisément, cet épicentre de l’anarchisme et du surréalisme. Objecteur de conscience, secrétaire du Centre Martin Luther King, rédacteur responsable de Combat Non Violent, celui qui avait pour devise «Ni Dieu ni maître, même nageur!» passe deux ans en Espagne pour rédiger une thèse en sciences politiques sur l’anarchisme.

A la fin des années 1980, il ouvre la galerie HumuS, sise à l’étage d’une baraque miraculeusement épargnée par les progrès du bétonnage. Au rez, c’est Filambule, l’atelier de sa compagne, la tisserande Danièle Mussard. Entre de vieux murs aux planchers craquants, Michel Froidevaux accueille Plonk & Replonk, Albertine, Topor, Martial Leiter, Serge Cantero, Willem, Pierre Gisling, Marie Morel… La librairie attenante se spécialise dans l’érotisme. L’espace opère naturellement sa jonction avec la Fête du slip, exposant des phallus de corne et d’ivoire, des objets bizarres et des photos pornographiques d’amateurs, autant d’expressions de la «beauté convulsive» chère à André Breton.

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Erotomane souriant

Michel Froidevaux estimait que «le rire et l’éros sont deux façons d’affirmer le potentiel de l’individu. L’éros et la liberté sont consubstantiels.» Sa curiosité se matérialisait dans une profusion de papier. Dans son arrière-boutique s’amoncelait un prodigieux fatras de livres et de revues consacrés aux 64 positions sexuelles décrites par le Kamasutra et à toutes les autres inventées par des générations de polissons hallucinés.

Le docteur en sciences politiques organise des concours de nouvelles réunies dans des livres richement illustrés, Rosée d’Eros et Perles d’Eros, deux opérations qui, «imaginées et promues par des esprits libertaires», n’ont pas «pour but ultime de déroger aux prescriptions du bon Dr Tissot, mais d’encourager l’esprit de tolérance et de découverte». Il dévoile la fesse cachée de Marcel Vidoudez: le tendre illustrateur du premier livre de lecture des écoliers romands arrondissait ses fins de mois en produisant des dessins coquins pour de riches amateurs. Il permet de redécouvrir le pessimisme joyeux d’Henri Roorda, humoriste réfractaire. Il a publié des nouvelles, des poèmes et des dessins de Willem, Antoine Jaccoud, Albertine, Jacques Chessex…

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A la tête de la Fondation F.I.N.A.L.E. (Fondation internationale d’arts et littératures érotiques) qu’il a créée au mitan des années 1990, l’érotomane souriant collecte tous les produits dérivés de la libido. L’album Eros, indéfiniment (2016) exhume de ce fond prodigieux les images belles, troublantes ou cocasses engendrées par l’inextinguible pulsion de vie. Amateur de langue verte, humaniste à plus-value humoristique. Michel Froidevaux vient de décéder à 68 ans des suites d’une tumeur au cerveau. C’est une belle figure de la culture underground qui disparaît. Un hommage sera rendu prochainement à la galerie HumuS.