«C’est une sensation bizarre mais je suis profondément heureux», a déclaré lundi Michel Houellebecq attablé chez Drouant, où il venait de recevoir le Prix Goncourt 2010. Un bonheur inhabituel, semble-t-il, pour l’écrivain et qui n’est pas sans évoquer un passage de son roman La Carte et le territoire, aujourd’hui couronné. Il s’y met en scène lui-même aux côtés du héros du livre, l’artiste Jed Martin, un double en plasticien qui cherche par la photographie puis la peinture à garder la trace de «l’âge des plastiques et des polymères» que traverse l’humanité. Houellebecq y imagine pour sa part sa postérité d’écrivain des années 2010, y dresse son portrait mais imagine aussi son assassinat et son enterrement.

Juste avant de faire mourir son double de papier, Michel Houellebecq dans le roman lui prête un bonheur apparemment tout aussi surprenant pour son entourage que l’émotion qu’il a dit éprouver à l’instant du Goncourt: «Il y avait dans la voix de l’auteur des Particules élémentaires quelque chose que Jed ne s’attendait pas du tout à y trouver, et qu’il mit du temps à identifier, parce qu’au fond il ne l’avait plus rencontré chez personne depuis pas mal d’années: il avait l’air heureux», lit-on, page 237.

Remerciements

Michel Houellebecq, le vrai, heureux donc et qui songe d’emblée à rendre hommage à celui qui batailla en 2005 sans succès pour que La Possibilité d’une île obtienne le Goncourt, François Nourissier, ancien membre du jury, touché aujourd’hui par la limite d’âge de 80 ans que se sont imposée les Goncourt. «J’ai envie de remercier François Nourissier qui s’est battu pour moi», a lancé d’emblée Michel Houellebecq assailli par une foule médiatique compacte à son arrivée chez Drouant. Et d’ajouter, à l’intention de son éditrice Teresa Cremisi, elle aussi portraiturée dans La Carte et le territoire, «Flammarion mérite bien d’avoir le prix Goncourt de temps en temps». Voilà 30 ans, en effet, que la maison n’avait pas eu le célèbre prix.

«Je préfère plaire»

Il était donc semble-t-il important pour Houellebecq de sortir de sa pause d’écrivain renégat et provocateur. Refusera-t-il le Goncourt? s’étaient interrogés certains, face à sa victoire annoncée. Et bien, non. Houellebecq malgré son nihilisme n’est pas insensible à la reconnaissance. Il l’expliquait ainsi au Magazine des livres après l’échec de son dialogue épistolaire avec Bernard-Henri Lévy et les féroces critiques contre son adaptation cinématographique de La Possibilité d’une île: «Je préfère quand même plaire, disait-il. Mais de toute façon, on n’a pas le choix… et on ne sait jamais tout à fait si l’on va plaire ou déplaire. Au fond, on préfère toujours se dire que ça va quand même plaire.»

Le voilà désormais reconnu, fêté au terme d’un parcours sans faute. En juin déjà le critique Didier Jacob avait annoncé sur son blog un roman taillé sur mesure pour le plus prestigieux des prix littéraires français. «C’est un Houellebecq plus humain» a d’ailleurs estimé le jury du Goncourt qui l’a élu par 7 voix contre 2. Et cette fois, aucune polémique n’est venue réellement assombrir la sortie de La Carte et le territoire. Le roman se porte à merveille au palmarès des ventes, en route qu’il est vers les 200 000 exemplaires; chiffre que son prix Goncourt devrait en principe faire doubler.

«Je ne pense pas que ce soit moi qui ai changé», a déclaré un Houellebecq soudain couvert d’inhabituels honneurs. Son personnage de papier ne se fait d’ailleurs guère d’illusion sur la marche du monde: «Nous aussi nous sommes des produits, déclare-t-il à Jed Martin, des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d’obsolescence»…