Mickey redresse l’oreille

Bande dessinée Tébo, Trondheim, Cosey, Loisel et d’autres créent de nouvelles histoires de Mickey

A découvrir au festival BD-FIL

Il y a deux Mickey. L’emblème trilobé de Disney, porte-étendard du divertissement capitaliste mondialisé. Et une souris greffée sur le cœur de tous les enfants du monde. C’est à l’ami des petits que profite l’opération «Mickey réinventé» que présente BD-FIL, le festival de bande dessinée de Lausanne.

En 2009, l’éditeur Jacques Glénat a obtenu les droits sur la licence BD Disney. Après avoir réédité les chefs-d’œuvre de Carl Barks (Donald) et de Floyd Gottfredson (Mickey), il propose à quelques artistes d’imaginer de nouvelles aventures de Mickey Mouse. Dans le plus grand secret, Cosey, Régis Loisel, Tébo et le trio Lewis Trondheim-Keramidas-Brigitte Findakly se sont attelés à une tâche prométhéenne: rendre la vie à une créature désubstantialisée par 80 ans d’exploitation intensive.

Apparu au cinéma en 1928 dans Steamboat Willie, Mickey sidère d’emblée la planète et entraîne Walt Disney vers la gloire. Dès 1930, il est décliné en bandes dessinées sous la plume d’Ub Iwerks, puis de Floyd Gottfredson. Il débarque en Europe par l’Italie avec Topolino (1932), puis par la France, avec Le Journal de Mickey (1934), qui éclipse nombre de publications pour la jeunesse.

Le souriceau a de nombreux amis – Horace Dusabot, Clarabelle Bellecorne, Dingo, Donald Duck… Ce dernier, un loser rageur bientôt doté d’une famille envahissante, évince la star à oreilles. Mickey se civilise, s’occupe plus de relations publiques que d’aventures. Il troque sa culotte rouge contre un costard cravate.

Le premier à regretter cette mutation est Floyd Gottfredson: «Mickey est devenu un personnage droit, laissant aux autres le rôle comique. C’est quelque chose qui m’a toujours attristé. Ce serait bien si nous pouvions revenir au Mickey des années 1930.»

L’opération éditoriale de Glénat exauce le souhait du dessinateur. Tous les auteurs sont revenus au Mickey originel. «Le plus marquant, le plus épuré, lance Cosey (Jonathan, A la Recherche de Peter Pan). Graphiquement, avec sa culotte rouge et ses gants blancs, il est extraordinaire.»

Lewis Trondheim (Lapinot, Ralph Azham) rappelle qu’à ses débuts «Mickey était pétillant, il aimait bien la bagarre. Il est devenu plus sage, car il est l’emblème de Disney. J’aime bien les images iconiques. Tintin en jeans, c’est moins Tintin.» Tébo (Captain Biceps) renchérit: «Il était hors de question que je fasse le Mickey à tête rose et en fringues. Je le voulais très cartoonesque.»

Tébo a découvert Mickey dans les dessins animés dont il est «ultra fan». Trondheim dans les gros volumes Hachette que ses parents lui avaient offerts pour Noël. Cosey observe un mystère autour du personnage: «A 8 ans, j’étais évidemment capable de faire la différence entre la réalité et la fiction. Mais je pensais que le monde de Mickey existait vraiment…» En plus, s’amuse le sâdhu des Diablerets, «nous avions une voisine qui s’appelait Mme Duc. Je me demandais si elle était de la famille de Donald…»

Régis Loisel (La Quête de l’Oiseau du Temps, Peter Pan) revient aux racines. Sans emploi, Mickey et Horace Dusabot évoluent dans un décor périurbain de terrains vagues renvoyant au krach de 1929. Kéramidas (Luuna, neuf ans d’animation chez Disney) illustre un scénario que Trondheim situe vers 1965: Mickey’s Craziest Adventures se présente comme un album aux pages manquantes que l’imagination du lecteur est appelée à compléter. Pour affiner l’illusion d’anciennes planches retrouvées, la coloriste Brigitte Findakly utilise de vieilles trames.

Cosey imagine la rencontre de Mickey, scénariste de cinéma, et de Minnie. Quant à Tébo, il dessine pépé Mickey racontant à son ar­rière-petit-neveu plein de petites histoires sur l’Amérique: le Far West, la prohibition, l’esclavage, la conquête de l’espace… «Evidemment, précise le clown de Caen, je ne parle pas de traite des Noirs, mais de la discrimination entre chats et souris, ni d’alcool, mais de chocolat chaud, interdit par le président après qu’il s’est brûlé. Mickey devient donc contrebandier de chocolat chaud…»

Est-il facile de prendre en main des icônes? Comme les mandataires pouvaient s’emparer du personnage de leur choix, Tébo a jeté son dévolu sur Fantomiald, (la version superhéroïque de Donald), avant de s’apercevoir qu’il n’arrivait pas à faire Donald. «Je n’aimais pas vraiment le personnage de Mickey en BD. Mais il m’est venu assez naturellement. J’ai bossé près de deux mois à dessiner des Mickey. J’en ai fait des centaines. Je me le suis réapproprié: ça reste du Walt Disney mais avec ma patte.»

Au cours de sa carrière, Cosey a épuré son dessin jusqu’à une forme de calligraphie. Il n’a pas éprouvé de difficulté à faire du Mickey: «Au contraire, Mickey est très épuré, très stylisé, très simple. Les rondeurs typiques de Disney ne me posent pas de problèmes. Je dessine ces personnages en ouvrant de vieux albums. C’est du dessin d’observation, comme si j’allais dans la nature faire le croquis d’un arbre.»

Rendre la vie à Mickey implique une grande responsabilité envers le personnage. L’approche postmoderne est inévitable, l’iconoclasme prohibé. Cette contrainte n’implique pas forcément de souffrance, même pour Tébo. «Je me suis senti très libre. Tous les trucs rageurs, un peu trash, qui correspondent à l’adolescence, je les ai déjà faits. Je m’en suis libéré avec Captain Biceps

Il y a quinze ans, Lewis Trondheim a dessiné une planche qui saisit l’essence du Mickey primitif. L’hyperactif souriceau n’interrompt sa course que pour assommer des bandits. Emporté par son élan, il finit par piétiner la tourte que lui offre Minnie… «C’est un truc visuel, se défend le félibre de Montpellier. Que Mickey écrase un gâteau d’anniversaire, c’est un peu transgressif. C’est le souci: jusqu’où peut-on aller? A trop vouloir faire les malins, on se plante. On ne se moque pas des personnes âgées: Donald et Mickey ont quand même plus de 80 ans.»

Dans un crayonné de Mickey’s Craziest Adventures , le souriceau enjoint à Donald, qui se balade le croupion à l’air, de mettre un slip. Dans la mise au net, il n’est plus question de culotte, mais de lire un manuel des bonnes manières…

Bédéphile, revue annuelle de bande dessinée # 1. Les Editions Noir sur Blanc, 288 p. BD-FIL. Lausanne. Jusqu’au di 13 septembre.

«J’ai bossé près de deux mois à dessiner des Mickey. J’en ai fait des centaines. Je me le suis réapproprié»