Décidément, ils n’y arrivent pas. Chaque année, les organisateurs du World Press Photo ne peuvent éviter la polémique. Image retouchée, cliché gentillet face aux terribles reportages de guerre, mises en scène. Le cru 2015, ainsi, fait jaser depuis plusieurs jours au motif que Giovanni Troilo, premier prix de la catégorie «Problématiques contemporaines», aurait largement orienté son reportage réalisé à Charleroi, «The Dark Heart of Europe». Le maire de la cité wallonne accuse le photographe de manipulation de la réalité et de construction d’images chocs, à coups de légendes falsifiées et de direction des modèles. «Une atteinte à la ville et aux habitants de Charleroi», tant qu’aux «bases de l’éthique journalistique».
Femme en cage, type obèse, vieillarde la tête sur la table d’un asile; la série donne dans la misère sociale. Mais si la première doléance laisse globalement de marbre – en ces temps de mobilisation pour la liberté d’expression, la seconde fait frémir alors que le World Press Photo est la distinction la plus prestigieuse en termes de photojournalisme. Pour sa défense, l’auteur évoque du «storytelling» plutôt que du reportage, assurant que toutes les images reflètent des situations existantes.
Après moult réflexions et discussions avec le prévenu, l’organisation a publié un communiqué dimanche, puis un autre lundi, pour affirmer son soutien à Giovanni Troilo ainsi que le maintien du prix. Certes, le photographe a glissé un flash dans une voiture dans laquelle son cousin allait forniquer, mais le couple serait passé à l’acte de toute façon, dit-elle en substance, répétant que la mise en scène n’est pas autorisée. Les clichés controversés sont en outre commentés par le photographe.
Emoi dans la sphère photojournalistique, qui évoque une brèche pernicieuse, un autogoal, un égarement ou un coup de plus porté à une profession dont beaucoup de membres risquent leur vie pour dépeindre une réalité que les journaux ne publient plus qu’au compte-gouttes. Un peu de storytelling en Irak, ça ferait vendre, non?