Tel un parachutiste, Link, personnage principal de la saga Zelda, fonce dans les airs. Une chute libre majestueuse dans un archipel flottant au milieu des nuages. Dans la bande-annonce du jeu vidéo The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, la caméra tournoie ensuite dans le ciel avant de dévoiler un paysage à couper le souffle. Des versants escarpés se dessinent à perte de vue et, clou du spectacle, la paravoile se déploie, permettant à Link de poser ses bottes en douceur dans une prairie bucolique. Avec une telle scène, Nintendo fait une nouvelle fois la promesse d’un univers à explorer à l’infini.

Popularisées dans les années 2000, les créations dites «en monde ouvert» représentent une tendance lourde et populaire dans l’industrie du jeu vidéo. Ce mode permet aux joueurs de faire déambuler librement un personnage dans un environnement dépourvu de frontières. Du moins en apparence. «La promesse de liberté est toujours déçue puisque la construction spatiale est le résultat d’une programmation informatique. L’espace de jeu est nécessairement mi-clos», note Selim Krichane, directeur du Musée suisse du jeu à La Tour-de-Peilz (VD).

Marque de fabrique

Les éditeurs dominants en ont fait une marque de fabrique pour leurs grosses productions, de la plongée historique dans Assasin’s Creed à l’épopée fantastique dans Elden Ring, proposant une expérience spectaculaire aux joueurs (et un généreux quota d’heures d’amusement). Au point d’établir une norme dans l’industrie. En 2017, au moment de la sortie de l’épisode The Legend of Zelda: Breath of the Wild, qui accompagnait le lancement en fanfare de la nouvelle console Switch, Nintendo mise également sur un vaste décor.

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Attendu au tournant, le géant japonais parvient alors à revisiter le genre du «monde ouvert». «Nintendo a réussi le coup de force de renouveler une formule qui, selon mon expérience, s’essouffle, estime Selim Krichane. De nombreux jeux proposent une enfilade de petites missions, de longues distances à parcourir en suivant une flèche dessinée dans un large univers… Dans Zelda, cette architecture est détournée pour proposer une épure narrative et spatiale.» Le joueur n’est pas submergé de quêtes et d’icônes à suivre sur la carte. Les développeurs lui indiquent dès le début le point final de l’aventure et lui font confiance pour s’y rendre par ses propres moyens et, quand il se sent suffisamment armé, pour terrasser Ganon, l’ennemi éternel de Link.

Si elle a pu se déployer grâce aux avancées technologiques, cette idée de «monde ouvert» n’est pas nouvelle. En 1986, le premier opus The Legend of Zelda offre déjà une grande liberté. «C’est avant tout un choix de design et qui n’est pas toujours gourmand en calcul informatique. En 1984, le jeu Elite: Dangerous proposait une exploration spatiale avec des graphismes minimaux et sans aucun but», rappelle Selim Krichane. Cette structure est une invitation à la contemplation. On peut errer dans l’univers, sans jamais remplir aucune mission. Dans la dernière génération de Zelda, il est possible de se balader à cheval, de gravir un sommet ou de planer au-dessus du royaume d’Hyrule, sans brandir à tout-va son épée.