Montreux Jazz, l’année Gaga

Musique Le festival vaudois a présenté jeudi l’affiche de sa 49e édition

La programmation ne s’arrête pas à la rencontre entre une Lady en robe de viande et un crooner en costard italien

Déjà l’année dernière, ils avaient fait de leur conférence de presse une superproduction. Les artistes de la programmation révélés, case après case, sur un mur lumineux et musical. Cette année, le Montreux Jazz sort un film. Une dizaine de minutes où des artistes, des danseurs, des peintres déambulent dans leur vie bohème au long de laquelle les noms des musiciens de la 49e édition sont dévoilés. Au Théâtre de Vidy, tout le monde est là: journalistes, sponsors, mécènes, acteurs culturels, directeurs de festival. De cette capacité à magnétiser son monde, Montreux a fait sa plus grande fortune.

Juste avant le tartare de thon et le gaspacho pimenté, dans les agapes qui suivent la présentation, c’est autour d’une robe de viande que l’essentiel des conversations se noue. Celle de Lady Gaga, le grand coup de Montreux, qui débarque dans ce festival de jazz accompagnée par l’ultime crooner italo-américain survivant de la mafia et des excès d’exposition solaire: le presque nonagénaire Tony Bennett. Une affiche se joue sur un ou deux noms. Cette année, ce sont ceux-là. La diva warholienne face au costard à pochette. Du Montreux craché. Mais ce n’est pas tout, forcément.

Il faut chercher des lignes de force, alors le patron, Mathieu Jaton, évoque la persistance des duos: Caetano Veloso et Gilberto Gil, les tropicalistes ultimes dans leur uniforme de résistance bahianaise, Chick Corea et Herbie Hancock, deux fils mutins de Miles Davis qui ne se sont pas rencontrés à Montreux depuis presque quarante ans. Et puis Sly & Robbie, le couple définitif de la syncope jamaïcaine, qui croise un trompettiste septentrional: Nils Petter Molvaer. On risque le chaud-froid. Dans le même ordre d’idées, une réunion de famille, celle des Chedid qui viennent à quatre pour définir de nouvelles lois de la génétique.

Tout cela est beau mais ne serait pas grand-chose sans la présence de D’Angelo (avant Mary J. Blige). Le colosse soul qu’on espérait tant voir à Montreux après son récent concert zurichois revient avec l’un des groupes de scène les plus audacieux du moment. L’Auditorium Stravinski, dans ce qu’il permet de précision sonore et d’intimité communicative, annonce une série de concerts valeureux: Portishead et le retour de la pluie insulaire, Alabama Shakes aux blues sudistes, Lenny Kravitz armé de colifichets.

Le Jazz Club, lui aussi, réunit plus que les mastodontes du jazz (superbe création autour de Fats Waller du pianiste Jason Moran), c’est là qu’on ira entendre le Kronos Quartet face aux Maliens de Da Kali. On ne boudera pas les camelots savants: Dianne Reeves, surtout qu’elle chante après Hugh Coltman parti en chasse de Nat King Cole, mais aussi Al Jarreau dont le swing grimaçant rappelle les heures les plus claires de notre histoire. Dans cette longue salle au plafond bas, il faudra se précipiter sur Joshua Redman face à Bad Plus, la rencontre de deux générations de buzz en jazz.

Quant au cabaret bétonné du Lab, il multiplie «les envahisseurs anglais et les résistants français» (la formule est de Mathieu Jaton). On se réjouit fort de James Blake, d’Ibeyi au déhanché afro-pop, du furieux rap d’Asap Rocky ou de Die Antwoord et des pitreries charmantes d’Aloe Blacc. Mais c’est surtout face à Asaf Avidan (cœur d’artichaut oblige) qu’on aimerait se trouver cet été. Tête d’affiche d’une programmation urbaine où il s’agit souvent davantage de climat que de tambours. Une petite mélancolie montreusienne qui nous sied assez. Comme celle de Jack Garratt (avant Sophie Hunger), invité de cette conférence de presse, roux et barbu, qui poétise les infrabasses engoncé dans des t-shirts de métalleux.

Bref, il y aurait encore beaucoup à dire de cette édition pré-anniversaire. D’un léger côté retour éternel des vieilles huiles (Lionel Richie, Santana, George Benson, Quincy Jones) ou du problème insoluble du prix des billets (90 francs pour entendre Kronos Quartet depuis le fond du club ou 92 francs pour se manger du Sam Smith au Lab). Mais tout cela n’entame pas le sentiment général d’une édition riche, pas forcément de légende (ah oui: John Legend, le 3 juillet, à l’Auditorium Stravinski), mais dont les promesses sont généreuses.

Montreux Jazz Festival, du 3 au 18 juillet. www.montreuxjazz.com

Le cabaret bétonné du Lab multiplie «les envahisseurs anglais et les résistants français», selon Mathieu Jaton