Une vie de rencontres
Le mot «avant» revient souvent dans sa bouche. Comme si son âme ne pouvait tourner une page sur une vie jonchée de rencontres. C'est qu'entre sa naissance, en 1933 à Paris, et ses débuts à la baguette, Michel Plasson a été bercé par l'opérette. «Ma mère - que j'ai perdue au début de la guerre - était chanteuse au Trianon Lyrique sur les boulevards. Dans les années 30, on jouait Messager, Reynaldo Hahn, tout un répertoire qui a disparu.» Son père, lui, jouait dans les orchestres parisiens. «J'ai côtoyé beaucoup de chefs.» La liste fait rêver: Pierre Monteux («la sobriété même»), Charles Münch («il ne travaillait pas du tout, il croyait à l'inspiration de l'instant»), Paul Paray («c'était une espèce d'officier de cavalerie, un peu sec, dans une musique cintrée, merveilleuse de rythme et de vie»), Carl Schuricht («le mélange de ce grand chef allemand et du son plus léger des musiciens français produisait des miracles»), André Cluytens, etc.
A son tour, Michel Plasson s'empare de la baguette. Après avoir remporté le 1er prix du Concours international de Besançon, en 1962, il prend la décision de sa vie. Ne pas faire carrière en Amérique, qui lui tend un contrat, mais rester en terre natale. «J'ai essayé de façonner un orchestre à l'image de la musique de mon pays.» Sa carrière, à l'Orchestre du Capitole de Toulouse, reflète une opiniâtreté exemplaire. En trente ans (dont dix ans passés à la tête de l'Opéra), il a forgé cet outil pour lui conférer un rayonnement international. Régine Crespin, Mady Mesplé, Alain Vanzo, José Van Dam, l'ont accompagné dans la grande aventure de l'opéra français - un répertoire qu'il reste l'un des seuls à défendre. «La musique française, c'est comme une fleur fragile. Il faut lui apporter un grand soin. Elle ne vit pas d'elle-même, les nuances sont souvent homéopathiques, elle dépend de ce qu'on lui donne.»
Nostalgique des orchestres français de l'après-guerre, Michel Plasson s'en prend aux chefs qui butinent d'une formation à l'autre. «Karajan disait qu'il fallait longtemps pour faire un homme. C'est la même chose pour un orchestre. Il ne suffit pas d'être présent huit semaines par an.» L'engagement des musiciens, recrutés dans le monde entier, contribue à la standardisation du son. «Les écoles instrumentales se perdent. La plupart des orchestres n'ont pas de couleur particulière. Ce sont comme des hôtels Hilton, des orchestres caméléon qui s'adaptent à la musique qui leur est confiée.»
Ravi des «couleurs» de l'OSR
Cette identité, Michel Plasson la réclame à cor et à cri. «La lumière de l'Elbe n'est pas la lumière de la montagne Sainte-Victoire.» Et de rebondir sur l'histoire de l'Orchestre de la Suisse romande. «Cette phalange a connu un acte de naissance phénoménal avec Ernest Ansermet. C'est parce que ce chef travaillait un répertoire précis, centré avant tout sur la musique française et russe, qu'il en a tiré une identité sonore incomparable.» Manière de faire allusion au développement qu'aurait pu connaître l'OSR s'il était resté sur le même créneau. Michel Plasson n'a pourtant pas de leçon à donner. Il se déclare ravi des «couleurs» que les musiciens de l'OSR lui ont offertes pendant les répétitions de Hamlet.