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Musique de l'absurde

Critique.

Difficile d'imaginer un cadre plis idéal que la Grange de la Touvière, dans la campagne genevoise, pour le Quatuor No 1 de Janácek. Ambiance intimiste, quasi familiale. C'était vendredi soir, le légendaire Quatuor Talich a sorti ses plus beaux atours pour cette œuvre au lyrisme âpre. Apre, mais tendre, à l'image du Festival Amadeus dont la programmation réunit à la fois des classiques (Mozart, Schubert...) et des pages plus récentes, voire contemporaines.

Krystof Maratkof, jeune compositeur tchèque de 35 ans, était aussi à l'affiche, avec Le Corbeau à quatre pattes, farce mélodramatique pour deux voix d'homme parlées et ensemble instrumental d'après l'écrivain russe Daniil Harms. Le pont avec Janácek était tout trouvé. Ce qui distingue toutefois ces deux compositeurs, c'est que Janácek invente ici une trame narrative à partir d'une nouvelle de Tolstoï (La Sonate à Kreutzer, l'histoire d'une femme assassinée par son mari pour cause d'adultère) sans recourir à la parole. Tout est dit à l'aide d'instruments à cordes.

Cet opéra sans paroles, ce drame psychologique est rendu avec pudeur par le Quatuor Talich. Les sonorités diaphanes et mordorées de l'ensemble pragois dénotent la compassion voulue par Janácek.

Avec l'écrivain russe Daniil Harms, l'absurde et la dérision installent un autre ton pour rendre compte de l'enfer vécu sous le régime stalinien. Ses saynètes tirées du quotidien basculent dans la fiction pour mieux en dénoncer l'horreur. En s'inspirant de ses textes (avec un parti pris porté sur la violence), Krystof Maratka a élaboré une partition kaléidoscopique. Deux récitants, Alain Carré (poétique) et Vincent Figuri (qui en fait un peu trop) disent les saynètes sur une trame instrumentale. Les mots images incitent le compositeur à développer un vocabulaire riche en effets percussifs, en bruitages et en rythmes, mais aussi en nappes sonores.

Musique illustrative, qui colle de près au texte, à la manière du cinéma muet ou d'une bande dessinée. Un peu trop. On aurait souhaité un décalage pour prendre le contre-pied du texte, lui faire dire autre chose. L'Ensemble Calliopée, aux sonorités intriguantes, sert au mieux ce mélodrame sous la conduite de Krystof Maratka.