Jusqu'à l'ultime gémissement de la dernière six cordes électrique, on se souviendra des Jivaros Quartet. De tous les combos ayant vu le jour de ce côté-ci des montagnes, le groupe de La Chaux-de-Fonds s'impose incontestablement comme le plus attachant, le plus inoubliable et le plus injustement mésestimé du lot. Fiévreuse, dense, tellurique, la musique de ce discret quatuor apporte la preuve incontestable qu'il n'est pas besoin de naître anglais ou yankee pour manier l'art du songwriting avec élégance.

Jusqu'à leur fin pudique en 1996, les Jivaros auront pourtant payé au prix fort le manque de crédibilité dont jouissent hors des frontières les membres de l'insondable scène suisse. D'albums indispensables mal vendus en tournées bancales, le groupe a fait front avec une dignité rock'n'rollienne impeccable en jouant de plus en plus intensément au fur et à mesure que la situation se détériorait. Il en faut pourtant plus pour éteindre une passion brûlante.

Leur batteur parti vers une nouvelle vie, les membres restants, à savoir Miguel Morales, Jérôme et Stéphane Ballmer, ont immédiatement fondé Sunday Ada, un trio de rock psychédélique n'ayant d'autre ambition que d'évoluer sans pression. «La grande découverte a été effectivement de s'apercevoir que quoi qu'il arrive, nous ne pouvions nous arrêter de faire de la musique.» Dans le salon encombré d'un appartement baroque à l'excès du centre-ville de La Chaux-de-Fonds, les frères Ballmer, seuls résidents permanents de la planète Ada après le départ du très occupé Miguel Morales, célèbrent avec discrétion la sortie de Ada's Heart Beat, premier album de leur nouvelle formation.

Depuis un peu plus de deux ans, la formation s'est produite ponctuellement sur les scènes du pays sans savoir si un jour elle retrouverait les chemins des studios: «Autrefois il y avait plus d'enjeu dans nos têtes. Aujourd'hui en revanche, ce disque n'existe que parce que nous avons eu du plaisir à l'enregistrer. Du coup, les chansons sont venues spontanément. Vu notre manière de travailler et nos ambitions actuelles, nous ne sommes pas obligés comme tant d'autres de courir après les subventions. De toute manière, nous, on s'en moque, du gros son.»

Désormais dotés d'un local transformé en studio grâce à l'apport d'un huit pistes et d'une poignée de micros, Sunday Ada a pris son temps: «Cet album est assurément le moins coûteux que nous ayons réalisé. C'est l'avantage de tout faire et de pouvoir tout contrôler. Je crois me souvenir que même notre premier mini-album de 1988 nous était revenu plus cher.» Alors qu'on murmure avec une certaine insistance que ce premier effort, tiré à 500 exemplaires, ne laisserait pas insensibles certains labels internationaux tels que Matador, Ada's Heart Beat ne sera disponible, dans un premier temps que par correspondance ou auprès des boutiques de disques les plus recommandables du pays: «Encore une fois, nous prenons les choses comme elles viennent. Si effectivement un label est vraiment intéressé on verra ce qu'il est possible de faire. Mais nous n'espérons rien.»

Qu'il soit ou non pris en charge par des mains expertes, l'opus que vient de commettre Sunday Ada se hisse sans aucune difficulté au sommet de la production nationale. Involontairement lo-fi mais fièrement psychédélique, il s'ouvre sur «What I Should Do», suite d'accords tournoyants qui lance la voix toujours aussi envoûtante de Jérôme Ballmer, avant de déboucher sur ces riffs de guitares perforants qui hantent encore les ouvrages des Jivaros. Ici, la fulgurance instinctive remplace les arrangements bourgeois. Traversé par les plaintes d'un harmonica noyé dans l'éther, «When Midnight Comes Twist and Shout» dévoile les nouvelles et étonnantes options ambient du projet. Le titre invite à se perdre dans les méandres d'un rêve étrange qui connaît son apogée sur les 9 minutes d'extase de «Hesitating», ballade hallucinogène empruntée à l'inconscient du Velvet Underground. Caressant, extatique ou mordant, Ada's Heart Beat marque le triomphe des sens sur les sons vitaminés mais bas de plafond. On ne pouvait rêver plus troublante compagnie pour terminer l'année.

Ada's Heart Beat, 1 CD disponible par correspondance chez Vendetta Agency, 13, rue de la Prairie, 1202 Genève (tél. 022/940 20 55, fax 022/ 940 20 59), ainsi que dans quelques boutiques spécialisées.

Sunday Ada en tournée dans le cadre du Cirque électrique (lire ci-contre): le 27 au Bad Bonn de Guin (FR), le 29 à la Reithalle de Berne, le 30 au SAS de Delémont.