Décédé le 1er décembre, Alvin Lucier incarnait un pan de l’histoire de la musique contemporaine dans ce qu’elle a de plus attentive à la matérialité du son. Les recherches de ce compositeur, professeur (à la Wesleyan University) et expérimentateur américain se sont très majoritairement, sinon toujours, donné pour but d’offrir une mise en évidence artistique de phénomènes acoustiques: la résonance, le comportement des micro-intervalles, le mouvement des ondes sonores en fonction de l’environnement dans lequel elles se déplacent – et surtout la manière dont ces données physiques interagissent avec notre psyché de mélomanes.

Car si tout cela peut sentir le laboratoire et la blouse blanche, Lucier a su en dégager le potentiel poétique et, disons-le, la magie. Prenons par exemple l’une de ses pièces les plus connues, I Am Sitting in a Room (1969): ce sont quelques simples phrases dites par le compositeur lui-même («I am sitting in a room different from the one you are in now. I am recording the sound of my speaking voice […]»), enregistrées, puis jouées, puis réenregistrées, puis rejouées, etc. L’empilement desdits enregistrements crée un phénomène d’accentuation de certaines fréquences qui, au bout du compte, grignotent la voix et la remplacent petit à petit par un drone bourdonnant. On peut y voir quelque chose comme une dialectique entre la dégradation et la transmutation; c’est surtout très entêtant.

Tout comme l’est Music On A Long Thin Wire (1977), une installation qui connecte un câble, des micros de contact, un amplificateur et des haut-parleurs pour créer un lent sac et ressac ondulatoire qui change de couleur selon la manière dont vous vous positionnez face à cet étrange attirail. L’expérience musicale devient ici une action ouvertement participative.

Dans le cercle des musiques aventureuses, l’annonce de cette disparition a ouvert la vanne des hommages mérités. C’est peut-être celui de Robin Rimbaud (grand explorateur, lui aussi, des voies périlleuses sous le pseudonyme de Scanner) qui a le mieux résumé le legs de Lucier: «Son œuvre nous en a appris autant sur la manière d’écouter la musique que sur la musique elle-même.» On ne cesse de le répéter: écouter demande de l’engagement, et Lucier était un formidable recruteur.