Vous l’aimez monacal ou bien psyché? A cran ou laissé ivre mort dans un troquet? Le folk a ce qu’il faut pour vous satisfaire. En rupture avec son berceau anglo-saxon, connaissant ces temps des visages attachants de Reykjavik à Paris, notamment, il est ce cannibale qui, pour se maintenir vivant, emprunte à toutes les grammaires musicales.
Fantômes et mélodies éternelles
Dans ses Chroniques. Volume 1 (2005), Bob Dylan résume ainsi le folk: «des chansons qu’on tient toujours de quelqu’un d’autre». Selon cette définition, une composition passe d’un chanteur à un autre, connaissant des variations plus ou moins profondes au gré des interprétations. Le folk, alors: moins un style musical qu’un processus créatif qui, tout au long du XXe siècle, et à l’exemple du blues, notamment, a accompagné le passage de l’ancien au moderne. Aujourd’hui? Son développement se poursuit. Mais s’il englobe toujours la tradition orale, constamment présente dans les échanges entre musiciens, il est aussi soumis aux innombrables influences propres à l’ère numérique. Pour résultat de ce jeu de tension entre tradition et innovation: l’apparition d’un nombre sidérant de ramifications. Jugez plutôt: «indie folk» ou «alt-folk», «math folk» ou «folktronica», «acid folk» ou… «dark folk»!
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Mêlé à l’avant-garde classique ou aux alliages électroniques, à l’orfèvrerie pop ou au shoegaze, le folk se marie ainsi à tout, contribuant à trouver des lignes de passage entre des formes et des espaces sonores que l’on croyait incompatibles. Pour autant, comment expliquer son irrésistible renouveau? Soyons franc et admettons qu’on n’en sait rien, l’engouement pour un genre musical ou au contraire sa mise au placard relevant le plus souvent du mystère. Toutefois, dans une industrie dominée par le rap et l’EDM (electronic dance music), suggérons que le folk et ses chansons cousues main, comme son goût pour la contemplation, valent pour retour à une forme d’essentiel. A Genève, le festival Antigel propose à partir de ce vendredi un solide panel d’artistes folk émergentes ou confirmées, réunies par un goût pour le spirituel, les fantômes et la confection de mélodies éternelles. Brève présentation de quatre d’entre elles.
De Alela Diane à November Ultra
De toutes, Alela Diane (Alhambra, 9 février), 39 ans, fait figure de vétérante. Apparue en 2006 avec un premier album à l’état sauvage, The Pirate’s Gospel, et repérée peu après la mise en orbite de costauds songwriters (M. Ward, Devendra Banhart, etc.), elle se voyait aussitôt comparée à une énigme: Karen Dalton, figure cramée du Greenwich Village des sixties dont l’œuvre si maigre et sublime était alors apprise par cœur par des cohortes de fans – de Cat Power à Angel Olsen. Mais pour être cette figure si peu compatible avec les impératifs du music business, la Californienne déjouait les pronostics la promettant nouvelle madone du folk global pour finalement dérouler une carrière discrète, ponctuée de disques beaux et prévisibles. Looking Glass, son sixième album, est paru l’an passé. On l’a à peine remarqué, soufflé à la place par le premier disque d’une quasi-inconnue: November Ultra (Casino Théâtre, 15 février).
On a déjà dit dans ces pages toute l’admiration qu’on porte à la Parisienne depuis la sortie de Bedroom Walls (2022), œuvre de rang composée et enregistrée en solitaire dans une chambre à coucher. Voix feutrée d’une délicatesse à mourir, mélodies solaires agissant comme des étreintes sexuées, «Nova» (son surnom) offrait dès son premier EP (Honey Please Be Soft & Tender, 2021), un alliage sans précédent connu entre éternité folk, sucreries pop et ritournelles de Broadway. On ne voulait pas s’en remettre. Puis l’hiver 2022 s’en mêlait et nous gâtait lorsque November Ultra publiait le single Novembre (2022). Avec un peu de retard et quelques excuses, déclarons que ce diamant folk compte parmi les plus admirables chansons parues l’année passée.
De Skullcrusher à Arny Margrét
Quand November Ultra emprunte au folk pour bâtir des mondes merveilleux, Skullcrusher (chapelle d’Anières, 4 février), projet solo de l’Américaine Helen Ballentine, l’emploie pour repeindre sa chambre couleur charbon. Colère et tristesse, pitié et confusion: dans son premier album, Quiet the Room (2022), la chanteuse basée à Los Angeles raconte sa vie, comme tombée en morceaux. Pour la soutenir, rien d’autre qu’un alt-folk inondé de brouillard où flottent pianos et guitares. Tout ici est élégant et froid, du plus grand sérieux et carrément déprimant. D’autres chavireront. Pour notre part, on s’attache à un autre talent naissant: l’Islandaise Arny Margrét (temple de Dardagny, 8 février).
A la première écoute, on se dit – à tort – qu’elle a bien peu d’outils, la gosse d’Isafjördur, pour se distinguer des champions de la riche scène folk locale, de Junius Meyvant à Asgeir. Son timbre est agréable, mais sans envoûter jamais. Ses mélodies sont délicieuses, mais sans prétendre à nous hanter. Pourtant, quelque chose d’indéfinissable chez cette jeune autrice-compositrice (22 ans) agit à mesure que l’on avance dans son premier album, le délicat They Only Talk About the Weather (2022). Une œuvre nue, si peu bavarde et sereine, ne connaissant aucun alliage et comme sans âge. Un disque-monde bourré de ciel et qui, dans sa simplicité presque brutale, résume la nature même du folk et son combat contre les ravages du temps.
Festival Antigel, Genève et Grand Genève, du 3 au 25 février.