Beethoven, citoyen du monde
Classique
Il y a 250 ans, le musicien naissait à Bonn. L’Allemagne célèbre toute l’année son génie, plus que jamais adulé dans le monde de la musique

Cette année, Beethoven est plus que jamais partout. L’Allemagne célèbre les 250 ans de la naissance de Ludwig, la première «rock star» de la musique, comme le surnomment de nombreux médias nationaux. Bonn, qui a vu naître ce pianiste et compositeur de génie en décembre 1770, est au cœur des festivités avec, notamment, la rénovation de sa maison natale, le dédoublement du traditionnel festival Beethoven et une grande exposition montée à la fin de l’année dernière la Bundeskunsthalle. Jusqu’au 17 décembre, à travers tout le pays, plus de 300 concerts et événements devaient célébrer ce compositeur, auteur de sonates, quatuors à cordes, d’un opéra, de deux messes et de neuf symphonies… avant que la pandémie de Covid-19 ne vienne jouer les trouble-fêtes et que de nombreux événements ne soient annulés ou reportés.
Deux cent cinquante ans après sa naissance, le mythe entourant Beethoven reste d’actualité. Son impact révolutionnaire sur la musique, ses maladies continuelles et sa surdité légendaire, son caractère de feu, son incroyable volonté, son amour pour la liberté et la nature, les soubresauts de sa vie personnelle et amoureuse, tout concourt à perpétuer la légende. Adulé de son vivant, Beethoven est aujourd’hui le compositeur le plus joué à travers le monde, devant Mozart et Bach. «Les musiciens asiatiques l’adorent», constate Agnieszka Lulinska, l’une des deux commissaires de la grande exposition que lui a consacrée le musée de Bonn. De nombreux éléments concourent à cette popularité, même si en réalité le grand public connaît mal Beethoven.»
Désir de liberté
Né dans une famille de musiciens de cour désargentée, Beethoven quitte Bonn à 22 ans, pour Vienne, capitale de l’empire austro-hongrois, où il étudie auprès de Joseph Haydn. «Il est connu à travers le monde entier grâce au portrait qu’en a fait Joseph Karl Stieler, commente l’historienne de l’art Sabine Dahmen, guide à la Bundeskunsthalle de Bonn. Le peintre a représenté le compositeur avec les cheveux ébouriffés, tel un lion, le regard sombre, une écharpe rouge autour du cou, une partition à la main. Il ne porte pas de perruque, contrairement à Mozart et à Haydn. Cela en dit long sur sa personnalité. Beethoven se veut libre. Il a toujours voulu l’être. Il n’était pas non plus un génie isolé mais un homme de réseau, un entrepreneur de la musique qui savait gagner de l’argent. Il vendait très cher la reproduction de ses partitions à des maisons d’édition et organisait des concerts avec des compositions de Mozart, de Haydn et les siennes. Il a toujours rêvé d’obtenir une position fixe mais ne l’a jamais obtenue. Cette liberté a influencé sa musique.»
Lire aussi: La maison de Beethoven à Bonn
Pour Agnieszka Lulinska, ce désir de liberté s’inscrit avant tout dans une époque. La première moitié du XIXe siècle fut en effet charnière pour l’Europe et le monde. «Beethoven est à la fois un classique et un romantique, commente la commissaire d’exposition. Il est à l’image de son époque, en constant balancement. Comme beaucoup en Europe, il est tout d’abord impressionné par Napoléon, en qui il voit un défenseur de la liberté, avant d’être fortement déçu.»
Le compositeur prévoyait en effet de lui dédier sa Symphonie No 3, dite Héroïque, mais biffera son nom de la partition après son autoproclamation en tant qu’empereur en 1804. Dix ans plus tard, dans la foulée de la défaite napoléonienne contre les Alliés, Beethoven compose La Victoire de Wellington, qui sera un succès. Son unique opéra, Fidelio, écrit en 1804, est lui aussi une ode à la lutte contre l’arbitraire, tout comme sa mise en musique du texte de Goethe Egmont, et bien sûr, sa Symphonie No 9, devenue l’hymne officiel de l’Union européenne en 1985.
Rapport à la nature
Interprétée en avril 1989 par des étudiants chinois sur la place Tiananmen, cette œuvre est de tous les grands moments de l’histoire récente. C’est aussi cette symphonie que le tout nouveau dirigeant de la philharmonie berlinoise, le talentueux Kirill Petrenko, interprète pour son grand concert gratuit devant la porte de Brandebourg, en août 2019, devant 30 000 Berlinois. «Le choix de cette pièce peut sembler banal, mais cela a beaucoup de sens pour moi, expliquait alors le chef d’orchestre russe. Il était évident que je ne pouvais commencer ma mission à Berlin qu’avec cette œuvre. S’il y en a une seule que nous devrions envoyer sur une autre planète pour montrer les aspects positifs et négatifs de notre humanité, c’est celle-ci.»
Quant à sa Symphonie No 6, intitulée la Pastorale, elle décrit les rapports entre l’homme et la nature et interpelle particulièrement en ces temps de changement climatique. Le Secrétariat des Nations unies à l’environnement l’a bien compris. Il a lancé en juin un vaste projet, appelant des artistes du monde entier à créer leur propre pastorale en faveur de l’environnement.
Lire également: Les Rencontres musicales de Champéry célèbrent «le grand sourd»
Visionnaire humaniste
«Beethoven était un citoyen du monde, qui se tenait au courant des événements, résume Agnieszka Lulinska, qui a monté l’exposition Beethoven. Monde. Citoyen. Musique. Mais en raison de ses nombreuses maladies et de sa surdité, apparue très tôt, il s’est concentré sur son propre univers et a été beaucoup influencé par la nature. Il s’est créé un univers homogène.» Sur la forme aussi, la musique de Beethoven a évidemment repoussé les frontières. «Ses quatuors à cordes dépassaient les normes de longueur, à l’époque, dont la limite était fixée à quatre mouvements, rappelle Sabine Dahmen. Son Opus 131 en compte 7 et sa Symphonie No 1 sera jugée trop longue.» Autre nouveauté, la Symphonie No 9 introduira pour la première fois des chœurs, dans le quatrième mouvement.
«La figure de Ludwig von Beethoven, visionnaire, humaniste et européen convaincu, est plus que jamais d’actualité, estimait en décembre dernier la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters. Avec sa radicalité, il a brisé les frontières et enthousiasmé un large public. C’est cela qui doit être célébré cette année.»