On n’arrête pas la mer. Distillatrice en chef, Billie Bird, parce qu’elle sort ses morceaux au compte-goutte, connaît souvent des soirs de première. Il y a quelques mois, on était au Bourg à Lausanne pour le vernissage de son EP, La nuit. Elle balançait alors des chansons neuves qui respiraient la contre-allée, le goudron humide, la ville noire – Shakedown avait remixé le morceau-titre avec des mélancolies de dancefloor. Jeudi, elle envoyait un nouvel EP, presque un quarante-cinq tours en réalité, deux titres, au Théâtre de Vidy.

Elle a mis des mouettes de taxidermiste en décor de ce pavillon qui est une des meilleures salles de concert lausannoises. Elle a repris ses musiciens aimés, peut-être le meilleur groupe de scène du monde libre. Sacha Ruffieux, chaussures argentées, guitare si vertigineuse qu’elle est une autre voix pour Billie Bird. Alberto Malo, batteur dont la caisse claire ouvre des imaginaires de route infinie, de virée à l’ouest de soi. Et puis Simon Gerber tient une basse de joie acide – il sourit quand il chante pour que les mots prennent le goût de sa bouche.

Boule à facettes

Dans l’après-midi, on a déjà écouté les deux morceaux nouveaux. La sensation ressentie avec le remix de La nuit, cette électronique de ravine et d’allure, est comme démultipliée dans Les déferlantes. Ce n’est plus Shakedown, mais sa moitié, Mandrax, qui travaille à la production. Le texte joue sur le double sens tragique de la déferlante. L’engouement. Le raz-de-marée.

La musique relève d’une soul blanche, sépulcrale, dont les accroches presque stéréotypées (la caisse claire, lourde, huileuse, les synthétiseurs en peau de disco) sont déviées par une voix si pudique qu’elle atteint à peine surgie. C’est Thomas Gloor qui mixe cette chanson, comme il le fait pour les rappeurs genevois de la Superwak Clique: avec une efficacité poétique. Bref, tout est juste, comme si cette nouvelle Billie Bird d’art pop glorieuse, de boule à facettes, remisait définitivement la chanteuse de folk qu’on avait connue au début.

Etre hybride

Jeudi à Vidy, Billie Bird chante aussi le charmant Perdre la raison, avec des guitares sèches qui tournent en transe numérique. Elle a enfilé un haut stellaire, elle remet ses cheveux, elle sourit, elle s’excuse, elle a pris un papier pour remercier tout le monde, elle sourit encore, elle remercie le public. On comprend ce qu’Elodie Romain cherche à faire – elle veut compenser cette incongruité d’être en scène par une sympathie joviale. Mais ce faisant, elle nuit à son double, Billie Bird.

On ne vient pas voir une copine. On vient écouter cet être hybride qui pose devant un écran bleu dans un lac clair. Tout est juste chez cette artiste, sauf cette manière qu’elle a de trahir son personnage en le commentant – comme si Al Pacino, en pleine scène, posait sa mitraillette pour se désolidariser de Scarface. Billie Bird a tous les moyens de nous faire perdre la raison. Si elle cesse enfin de questionner sa propre légitimité.


Billie Bird en concert. Festival Les Créatives. 23 novembre, 20h30. Chat Noir, Carouge. www.lescreatives.ch

Billie Bird, «Les déferlantes». Sur toutes les plateformes de téléchargement légales.