Louis Lortie, c’est ce pianiste québécois qui s’est fait une spécialité du répertoire romantique. Il se mesure aux transcriptions de Liszt (dont celle de l’Ouverture de Tannhäuser de Wagner, horriblement difficile!) comme à tout le répertoire de Chopin. Ses apparitions en Suisse romande sont relativement rares, d’où le privilège de l’entendre à la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds, mardi soir, à l’occasion d’un concert de musique de chambre avec le Quatuor Panocha (l’un des plus anciens quatuors tchèques en activité).

Lyrisme à fleur de peau

Fondé en 1968 par quatre jeunes étudiants du Conservatoire de Prague, le Quatuor Panocha représente une école qui s’est pratiquement perdue aujourd’hui. Rien qu’à les voir, ils ont l’air de vieux compères sortis d’une autre époque, quand Internet et les smartphones n’existaient pas encore. Le soyeux des cordes, la délicatesse des inflexions, la façon de phraser la musique s’opposent à des ensembles au son plus agressif. Du reste, on note quelques baisses de régime durant le concert (notamment dans le Quintette opus 34 de Brahms), compensées par une très belle expressivité et un lyrisme à fleur de peau.

A milles lieues du Brahms broussailleux qu’on entend parfois, Louis Lortie choisit d’aérer les textures dans le Quintette opus 34. Il fait chanter les thèmes, déploie de belles sonorités, soucieux de garder un équilibre avec ses comparses. Plutôt que d’envisager un corps-à-corps entre le piano et les cordes, les musiciens privilégient la complémentarité. Le Quatuor Panocha se fond au piano et se montre très homogène. Mais l’on relève quelques faiblesses techniques: l’intonation du premier violon est parfois approximative et le violoncelliste fatigue par moments. Le «Scherzo» pourrait aussi être plus emporté. Ce que l’on perd en poli instrumental (avec quelques écarts par-ci par-là), on le gagne en émotion. Cette façon d’exalter le lyrisme de Brahms plutôt que de viser le spectaculaire revêt ses qualités.

Mélancolie et enjouement

Le Quintette en la majeur opus 81 de Dvorák paraît mieux tenu dans l’ensemble. Non seulement Louis Lortie déploie des trésors de sonorités à l’accompagnement, mais le Quatuor Panocha émeut par son sens du style. L'«Andante con moto» est d’une grande tendresse, avec des subtiles gradations dynamiques au piano (dans l’épisode médian, on a l’impression que celui-ci murmure une plainte intériorisée) et des phrasés emplis de mélancolie aux cordes. Le «Furiant» est enlevé (malgré quelques imprécisions au premier violon), et le finale, truffé de rythmes populaires dansants, respire une bonhomie insouciante. Très applaudis, les musiciens rejouent le «Furiant» avec cette même simplicité vibrante.