Genre: Brésil
Qui ? Nana Caymmi
Titre: Rio Sonata
Chez qui ? (DVD Gachot Films/Musicora)

C eux que son précédent Maria Bethânia: Música é perfume a laissés pantelants d’émotion se sont déjà jetés sur ce Rio Sonata avec lequel il forme une sorte de diptyque enchanté, bulle de bonheur simple à la dérive dans l’univers très formaté des biopics à tendance hagiographique. Les autres apprendront bien un jour ce que le documentaire musical doit à Georges ­Gachot, réalisateur franco-suisse qui pourrait bien être à la musique brésilienne ce que Wim Wenders a été à la cubaine. L’ambition est tout autre et, partant, le dispositif mis en place pour capter le pouls d’une musique et/ou d’un pays, qui relève ici de l’artisanat assumé. Cela ne l’empêche pas d’atteindre à une poésie en tout cas égale, en authenticité et en puissance de suggestion, à celle de son prestigieux prédécesseur.

On partage donc, dans cette sonate sensuellement contemplative, quelques jours de la vie quotidienne d’une star saisie dans son biotope familial et sa géographie affective. Star, Nana Caymmi? Oui, et des plus grandes dans le cœur des Brésiliens, même si pour nous son Dorival de papa relève plus directement de l’icône patrimoniale. La voix accuse bien quelques problèmes de justesse, comme celle des Cubain(e) s jadis repêché(e) s par Wenders, mais qui s’en soucie dans une telle profusion de vibrations, une si complète plénitude de feeling? La béatitude est au bout de cette caméra qui s’efface si humblement devant son sujet, laisse la musique jaillir où bon lui semble au lieu de lui assigner des niches prévues d’avance dans l’économie didactique du documentaire. Cette liberté, vraie ou simulée, est ce qui donne à cet objet, apparemment destiné à rejoindre, pour s’y perdre, la masse des documentaires à visée informative, sa spécificité et en l’occurrence sa qualité de respiration. La vérité est qu’on n’en connaît pas beaucoup, des films sur le (ou sur fond de) Brésil aussi miraculeusement vierges de clichés, de concessions décoratives au génie du lieu si tentant pour une caméra.

Cette rigueur dans le refus du déjà-vu porte le film bien au-delà de son horizon documentaire, dans une zone affranchie de toute pesanteur démonstrative, ouverte à l’inattendu dont est tissée une vie observée sans a priori. Et il se trouve que cette sensibilité aux petites choses, à la vie quand elle cesse de gesticuler, entre en résonance intime avec la personnalité de Nana Caymmi. On en veut pour preuve cette confession atypique, assez éloignée du credo tonitruant d’une midinette de carnaval: «J’aimerais vivre avec Claude ­Debussy, dans la maison de Monet. Je passerais des après-midi avec ­Satie ou Ravel. J’aimerais avoir ce genre de vie, entourée par ces hommes.» Les hommes dont Georges Gachot l’entoure ici ne sont eux-mêmes pas les premiers venus: son ex-mari Gilberto Gil, son frère Dori Caymmi, Tom Jobim, Milton Nascimento, tous viennent livrer des témoignages au plus près du sentiment que leur inspire cette diva d’un autre âge à laquelle le Brésil veut rester fidèle. Quelques images d’archives triées sur le volet creusent çà et là la profondeur de champ, tout comme d’ailleurs ce chant des profondeurs, et le film se referme en un paradoxe plein de sens sur l’évocation, qu’on croit presque voir à l’écran, de la naissance de Nana.