Est-ce cette façon bien à elle de mordre dans le texte ou son accent – curieux mélange entre des sonorités alémaniques et du Sud de la France – qui lui donnent sa singularité? Ce qui est certain, c’est que Charlotte Planchou a ce on-ne-sait quoi qui la rend captivante.

Débarquée à 22 ans en Suisse pour étudier le chant lyrique à l’HEMU (Haute Ecole de musique) sur le site de Fribourg, c’est dans la classe de la mezzo-soprano Jeannette Fischer qu’elle commence son parcours. Son amour du lied et de la mélodie, elle le tient de sa mère allemande. «Depuis toute petite, je suis fascinée par Schubert et plus généralement par le texte mis en musique. Je suis capable d’écouter en boucle le baryton Matthias Goerne», raconte Charlotte Planchou. Mais si l’étude du chant est pour elle une évidence, le répertoire opératique n’est pas totalement sa tasse de thé: «Je trouvais cela marrant, mais ce n’était pas naturel pour moi. Je galérais avec les prouesses vocales… En revanche, j’aimais l’intériorité que nécessite le lied.»

Découverte du monde de la nuit

Bachelor en poche, la chanteuse passe des auditions et décroche des dates pour de petits rôles dans Le Voyage dans la lune (Offenbach) et Lucia di Lammermoor (Donizetti). C’est alors que le basculement vers le jazz se déroule, comme dans le standard On the Sunny Side of the Street, au coin d’une rue ensoleillée. Un été, Charlotte Planchou rencontre un jazzman qui lui propose de chanter avec lui. Elle a le répertoire en tête mais ne l’a jamais pratiqué. Qu’importe, elle a l’audace. «On s’est mis à jouer des standards en boucle sur l’île Saint-Louis, à Paris. Un monde fou nous écoutait. Le soir, on finissait en jam, c’était dingue, se remémore la musicienne. C’est comme ça que j’ai troqué mes tisanes de chanteuse lyrique pour le monde du jazz et de la nuit.»

Sur «Le Voyage dans la lune»: Une épopée lunaire à la conquête de l’amour

Après cet été formateur, Charlotte Planchou débute dans des clubs parisiens comme le fameux Baiser salé, avant de passer au Sunside avec un répertoire en quartet issu de la chanson française – Piaf, Savaldor, Ferré… «J’avais des temps de résidence qui me permettaient d’aller plus loin et de peaufiner les arrangements», explique-t-elle. Un soir, au Sunside, elle fait une rencontre qui vient bouleverser sa trajectoire. «Dans le public, il y a un type qui vient me voir à la fin du concert pour me proposer de m’aider à financer un album!» Ce mécène, c’est Peter Schnur, du label LP345, qui produit notamment Yaron Herman. «A partir de là, je me suis mise à composer; il m’a donné carte blanche et m’a aidée à évoluer artistiquement. J’ai été présentée à Mathieu Herzog, l’altiste du quatuor Ebène et à présent chef d’orchestre. Et ensuite, j’ai tracé mon propre chemin.» Autodidacte dans le jazz, Charlotte Planchou cultive cette particularité. «Je n’ai pas souhaité faire un cursus supplémentaire spécialisé, car j’ai une expression assez directe qui fait ma force, et pour le moment je la préserve un peu. Avec le classique, j’ai vraiment appris la puissance de l’interprétation. Lorsque je chante, j’essaie de n’avoir rien de prémédité, je réagis en fonction des musiciens qui sont autour.»

Envie de grandir

Ce chemin singulier s’écoute avec enthousiasme dans un disque, Petite, où un rythme très latino se mélange à l’impertinence et l’humour de Charlotte Planchou. «Petite dans le Sud-Ouest, c’est la jeune pousse, et c’est ce que je suis. J’ai envie de grandir avec cet album, de le défendre et de le chanter.»

Quant au répertoire classique, elle ne l’a pas complètement délaissé. On trouve notamment sur ce premier enregistrement un titre composé à partir de Là-bas vers l’église, de Maurice Ravel, et des Litanies à la vierge noire de Francis Poulenc. Il y a aussi cet arrangement très chaloupé de Canción de cuna, du compositeur catalan Xavier Montsalvatge. La section rythmique, avec Thomas Posner à la contrebasse et Pierre Demange à la batterie et aux percussions, donne un groove qui rappelle parfois celui du groupe Paris Combo, qui fit fureur dans les années 2000. «Ce disque est un travail d’équipe, insiste la chanteuse. On a fait tourner pendant un an les chansons, et ensuite on est partis enregistrer une partie au studio de Meudon, et l’autre au studio Besco, avec Julien Bassères comme ingénieur son. Toute notre génération enregistre là-bas.»

Pour Charlotte Planchou, chanter est aussi libérateur. «Dans le morceau Chanter pour ne rien dire, je voulais éviter de dévoiler des choses secrètes de ma vie personnelle. Or je suis passée par des phases compliquées, dont je ne pouvais pas parler, même si on est dans une époque où la parole se libère», conclut de manière énigmatique l’artiste. Et nous, on est suspendu à ses paroles et à sa musique.

Charlotte Planchou, «Petite» (Lossless Records).