Tirer des lignes de parenté entre les œuvres et les compositeurs, Christian Zacharias le fait en maître. L’intellect à l’affût et l’affect dévoilé avec pudeur, le musicien invite à visiter ses expositions musicales. Le thème de «l’accrochage» qu’il est venu présenter en récital mardi soir au Victoria Hall? L’art de dégager et mélanger les couleurs en aquarelliste. Pas d’huile, d’acrylique, de peinture au couteau ou de travail dans la masse. Tout en finesse, douceur et transparences. Le pianiste tisse et éclaire les échos entre Scarlatti, Soler et Ravel. Trois univers de grâce, de légèreté et de finesse. Est-ce parce que l’orchestre a occupé sa vie d’artiste pendant treize ans à l’OCL? Dans le rapport et l’écoute du clavier, on sent la gourmandise de l’instrument retrouvé depuis deux ans. Comme un retour heureux aux sources du son personnel, façonné à la pulpe du doigt. Cette intimité, nourrie à la fréquentation de Vlado Perlemuter, convient particulièrement bien au raffinement de Ravel. Avec les années, le son s’est arrondi, éclairci et approfondi tout à la fois. Depuis ses dix-neuf ans, où il remportait le Concours de Genève, le pianiste arpente l’univers musical l’esprit et l’énergie tendus vers la compréhension et la magie des rouages de la création. En présentant six Sonates de Domenico Scarlatti et quatre du «Padre» Antonio Soler, au milieu desquelles la Sonatine de Maurice Ravel figurait en digne héritière, Christian Zacharias laisse parler l’évidence des liens et de leur entrelacements intimes. La technique perlée se dissout dans une brume de notes, comme derrière un voile de nostalgie tendu entre ces pièces espiègles et tendres. Aucune place pour la rupture, l’arrêt sur silence ou l’interruption du discours. Les mélodies, les accords et les guirlandes de notes répétées ou d’arpèges articulés sont entrelacés de résonances. Et quand Chopin s’invite seul dans la deuxième partie de soirée avec ses Scherzos no1 et no2, encadrant quatre Mazurkas plus rêveuses que dansantes (op. 41. 17. 31 et No4 posthume), le même sentiment de rêverie et de poésie inonde les partitions. Une musique d’éternelle enfance.