Martha Argerich avait 16 ans quand elle remportait le Concours de Genève en 1957! Nelson Goerner, lui, en avait 21 quand il remportait le même concours en 1990. Ces deux vedettes étaient réunies jeudi soir au Victoria Hall, lors d’un concert de gala organisé avec d’autres anciens lauréats (la percussionniste Aiyun Huang et la soprano Polina Pasztirczák). Le jeune chef argentin Alejo Pérez les accompagnait à la tête de l’OSR.

Si le Concerto pour deux pianos de Poulenc était programmé comme le clou de la soirée (Martha Argerich et Nelson Goerner y ont été bien applaudis), toute la première partie était placée sous le signe de l’eau. Les Four Sea Interludes de Peter Grimes de Britten campaient le décor. Alejo Pérez les dirige avec énergie. Ses gestes paraissent assez agités et angulaires. Les aspérités sont mises en relief au détriment d’une certaine poésie qu’il aurait pu approfondir.

Vient ensuite une œuvre «moderne»: le Water Concerto de Tan Dun (1998). Ce compositeur originaire de Chine, 56 ans, mène une belle carrière aux Etats-Unis. Il développe un langage à mi-chemin entre l’imaginaire de l’Extrême-Orient (bruits de la nature, souffle du vent…) et le minimalisme américain. Son Water Concerto pour «percussion aquatique» et orchestre nécessite tout un attirail d’instruments sur la scène.

Jeux d’eau

Au début, on est saisi par ces sons crissants et fantomatiques qui surgissent de nulle part. La soliste, Aiyun Huang (1er Prix du concours en 2002) apparaît du fin fond de la salle, côté public, escortée de deux autres percussionnistes. Tous jouent du waterphone, un instrument en métal que l’on actionne avec un archet. Puis ils s’avancent vers la scène du Victoria Hall. Des vasques d’eau, éclairées d’une lumière bleutée, servent de terrain de jeu pour les percussionnistes.

Aiyun Huang se met à tapoter dans l’eau, à composer des rythmes. Elle déroule tout un catalogue d’effets, passant d’un instrument à un autre. Une chorégraphie participe à l’impact de l’œuvre sur le public.

L’ennui, c’est que cette musique accuse bien vite ses faiblesses. On y entend des mélopées orientalisantes (style world music), des imitations de cris d’animaux. La partie d’orchestre est assez pauvre et mal assortie aux clapotis de la percussion. Tout cela paraît naïf, «premier degré», avec des longueurs et des effets – certains plus intrigants que d’autres – qui tombent à plat.

La soprano Polina Pasztirczák, elle, se mesure aux Vier letzte Lieder de Strauss. Le timbre est beau en soi (dans le haut médium et l’aigu surtout), mais son chant manque de galbe et d’assurance. Elle doit composer avec un orchestre qui la couvre; elle ne parvient pas à se libérer, même si elle gagne un peu en chaleur au fil de l’œuvre. Par contraste, Martha Argerich et Nelson Goerner paraissent très libres, voire nonchalants (surtout elle!), dans le Concerto pour deux pianos de Poulenc. Certes, les attaques ne sont pas toujours synchronisées avec l’orchestre (et entre pianos!), mais l’esprit de l’œuvre est là, ludique, persifleur, un brin vulgaire, avec des plages de lyrisme. Alejo Pérez accompagne les deux pianistes avec élan. Le «Finale» est repris en bis pour le plus grand bonheur du public.