Brutalité
Certes, des interprétations poids plume et trop raffinées ne servent pas l’œuvre de Beethoven, mais faut-il à ce point brutaliser l’instrument? Prendre à bras le corps le finale dans une sonorité burinée qui ne suggère rien d’autre qu’une agitation vaine? N’y a-t-il pas autre chose derrière cette course à l’abîme? Une forme d’inquiétude, d’angoisse existentielle? On cherche en vain un sens à ce flot de notes qui filent tout droit et finissent par devenir assourdissantes, comme la coda de l’allegro final.
L’Opus 111 est légèrement meilleur. Le premier mouvement évoque le choc des éléments dans des sonorités à nouveau burinées. Mais le pianiste s’emporte et, du coup, le son s’enlaidit dans les forte. L’Arietta réserve quelques lueurs d’inspiration, avec des phrasés bien conduits et modelés, mais curieusement, Matsuev devient un peu décoratif là où la musique devrait – ou pourrait – suggérer les confins de l’univers, l’approche du néant. Il n’empêche: ses trilles sont magnifiques et il est capable, enfin, de développer de belles sonorités irisées. L’élévation spirituelle, elle, n’y est pas.
Assauts percussifs
Les deux pièces de Tchaïkovski revêtent un caractère plus divertissant. Quant à la Sonate de Liszt, elle pâtit d’un excès de poids, d’assauts percussifs toujours aussi démonstratifs, octaves assénées, sans parvenir à entrer au cœur du propos musical. Où est la noblesse de Liszt? Sa délicatesse, sa féminité? Le conflit entre la chair et l’esprit, l’ambiguïté entre le trivial et le transcendant – sans parler du mythe de Faust que des pianistes comme Arrau et Brendel y ont vu? C’est une lecture au premier degré, pleine de doigts et de force dans les bras, sans grande finesse.
Par comparaison, les deux premiers bis procurent enfin la poésie attendue: délicatesse dans La Tabatière à musique d’Anatoli Liadov, souplesse d’articulation dans l’Etude Opus 76 No2 de Sibelius. Matsuev – qui a l’air sympathique au demeurant – repart dans son show à la russe, pas si loin d’un show à l’américaine, avec la pièce de Peer Gynt, de Grieg, arrangée par Grigory Ginzburg, qui se termine dans un fracas assourdissant. Mission accomplie, torrent d’applaudissements; il est temps de rentrer chez soi.