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Vendredi au Cully Jazz Festival, le chanteur californien déploie en solo sa voix surnaturelle, ses mélopées de gay cosmique. Attention, il est prodigieux

Dorian Wood, la voix de son ange
Musique Vendredi au Cully Jazz Festival, le chanteur californien déploie en solo sa voix surnaturelle, ses mélopées de gay cosmique
Attention,il est prodigieux
D’abord, c’est son ventre. Un matelas naturel, un dispositif de protection savant, il s’avance dans un t-shirt noir où est inscrit en lettres gothiques le mot maricón, «pédé», dans la langue de Cervantès. Il porte le sourire le plus carnassier de la côte Ouest. Il vous parle de sa plus récente vengeance. Après que son petit ami l’a lamentablement quitté, Dorian Wood a décidé de composer un poème de rupture en bulgare. «Comme il était Bulgare, je me suis dit que ça le détruirait que j’utilise sa culture pour lui dire adieu. Mais ça n’a pas du tout marché. Nous sommes restés amis.»
Dorian Wood est comme ça. Il veut ébranler son monde mais ne parvient qu’à l’hypnotiser. «Je suis un alien avec des ailes», explique-t-il scrupuleusement. Naissance californienne, parents costariciens, il fait la navette entre les deux pôles depuis 1975 et ce premier cri qui en augure d’autres, nombreux, intenses, hantés. Il suffit de le voir assis devant un piano à double queue, le front large, disposer des accords diminués sur des rengaines latines ou des répliques à Kurt Weill. Il suffit d’entendre cette voix, de cabaret irlandais, de bordel argentin, pour comprendre que ce bibendum musculeux a de l’avenir.
Il a juste 40 ans. Il semble avoir vécu cent fois. Il a étudié la chanson au Costa Rica. Le film à Los Angeles. Ses clips sont de petits cinémas de plein air qui parfois frôlent le code. Pour «La Cara Infinita», l’hymne de bouge par excellence, il agite le pénis d’un ami pendant quatre secondes. «J’aurais aimé que cela dure davantage, mais on a préféré se concentrer sur la musique.» Le clip ne passe nulle part, il est censuré de toutes les plateformes de téléchargement. Mais il fait son petit effet. On passerait la nuit à décrire les images de Dorian Wood. L’homme en diva baroque et barbue, assis à un piano droit. L’homme tout nu. L’homme en perruque et faux cils. La beauté indéterminée d’un chant qui ne doit qu’à lui.
Au fil des ans et des milieux qu’il a traversés, Wood a chanté dans un opéra qui s’intitulait Folies zoophiles, il a collaboré avec l’artiste Marina Abramovic, il a créé une installation ( La Renaissance de l’arbre pédé) où il imbriquait les corps de 30 de ses amis, il a convoqué pour son album le plus récent un chœur de 45 chanteurs improvisés et 15 musiciens. Mais ce n’est pas seulement la démesure. Ni même le questionnement insatiable des genres et des identités sexuelles. Ce qui touche, chez Dorian, c’est la clarté absolue des intentions musicales. Il sait absolument où il met sa voix. Tout au creux de l’échine.
Même s’il a taillé ses premières armes dans les cabarets de la scène gay à Los Angeles, comme Antony & The Johnsons l’avait fait à New York, Dorian Wood croit en l’universel, le panoptique. Il est lyrique comme il faut. Balance des cuivres de fête foraine, des batteries de fanfare, des violons au romantisme glacé, beaucoup d’accordéon, une forme de mysticisme catholique qui ne cède au péché que pour le plaisir de s’en confesser. Il est un latino. C’est sa moustache fine, autant que son teint ambré qui le trahissent. Mais un latino à la mode tex-mex, toujours à cheval entre deux mondes. Comme parfois Tom Waits, dont les déserts sudistes hésitent entre deux hémisphères.
A Cully, Dorian Wood sera seul. Cet animal de meute, qui joue avec son ancienne colocataire, avec des orchestres symphoniques, n’est jamais plus lui-même qu’emporté par la foule. Il suffit de voir la bataille rangée du morceau «Down, The Dirty Roof» qui traite de ses années de galère. Un combat à mort entre des cris de femmes et des tambours syncopés, des coryphées: c’est la chanson parfaite pour une finale de coupe du monde que les deux clans auraient perdue et qui noieraient leur rage dans un rhum noir. Les chanteuses pleuvent, avec de grands gestes de pleureuses. Dorian au milieu. La longue mèche sur les yeux, il relance la bête comme pour un rodéo aviné. Il est un être clanique. Mais, étrangement, on se réjouit plus que tout de le découvrir libéré de son armée de partisans.
Seul au Temple de Cully. Un temple protestant. C’est-à-dire le contexte le moins adéquat en apparence pour quelqu’un qui doit avoir des statues dorées à la feuille de saint Sébastien flanquées de flèches dans tous les coins de son appartement. Mais la musique de Dorian Wood, on le sent, ne se nourrit pas de son opulence décadente. Sous les plumes, il y a une peau.
Dorian Wood en concert. Vendredi 17 avril, 21h. Temple de Cully. www.cullyjazz.ch
Ce qui touche, chez Dorian, c’est la clarté absolue des intentions musicales. Il sait absolument où il met sa voix