Classique
Mercredi soir, au Verbier Festival, deux formations réunies pour l’occasion, ont dompté le «Quintette Opus 81» de Dvorák et le «Trio en la mineur Opus 50» de Tchaïkovski. A nouveau, le jeune pianiste Daniil Trifonov a prouvé à quel point il est musicien et souple
Les concerts de musique de chambre se poursuivent à un rythme effréné à Verbier: un, deux, voire trois par jour. Selon les artistes réunis, lesquels jouent souvent pour la première fois ensemble, le courant passe ou ne passe pas. Mercredi soir à la Salle des Combins, le pianiste russe Daniil Trifonov, 22 ans, prouvait une fois de plus à quel point il est musicien et inspiré. Qu’il joue seul (son récital mémorable de dimanche dernier, à l’Eglise, lire LT du 30 juillet) ou entouré de partenaires, il fait jaillir des trésors de sonorités sous ses doigts. A ses côtés, le fidèle Renaud Capuçon, la Norvégienne Vilde Frang (une violoniste qui monte), l’altiste Yuri Bashmet (un vieux de la vieille) et Gautier Capuçon (autre habitué du festival) jouaient le merveilleux «Quintette avec piano en la majeur Opus 81» de Dvorák.
La magie a circulé, en dépit de l’alto bien inégal de Yuri Bashmet. L’altiste russe affiche depuis plusieurs années des problèmes d’intonation (parfois très sérieux) et sa sonorité paraît rêche ou éteinte. Par bonheur, ce soir-là, Bashmet ne jouait pas trop fort, et comme il était épaulé par quatre autres musiciens particulièrement investis, ce ne fut pas trop grave. Mais on aurait souhaité entendre David Aaron Carpenter ou Antoine Tamestit à sa place, deux altistes présents à Verbier, autrement plus fiables techniquement et inspirés musicalement.
Vivacité du tempo, rythmes entraînants (le troisième mouvement «Furiant»), ferveur du jeu: tout était réuni pour faire de ce «Quintette Opus 81» une fête! Gautier Capuçon énonce avec éloquence son thème au début de l’œuvre, tandis que son frère Renaud, rayonnant et fébrile, est un premier violon de haut vol. Vilde Frang, au second violon, s’insère admirablement dans le tissu musical. Daniil Trifonov, assis au piano, fait fuser des traits d’une grâce cristalline, déploie un lyrisme fabuleusement poétique dans le mouvement lent (sans en faire trop) et dompte les accents si caractéristiques de cette musique tchèque. L’électricité circule à flots, et c’est une belle lecture de quatre solistes (à défaut de cinq!) qui rend ce «Quintette Opus 81» d’autant plus attachant.
En seconde partie de soirée, le pianiste Itamar Golan (remplaçant Evgeny Kissin prévu au départ), le violoniste Maxim Vengerov (dont c’était le retour au Verbier Festival) et Mischa Maisky s’offraient le vaste et sombre «Trio en la mineur Opus 50» de Tchaïkovski. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les trois musiciens s’investissent sans compter. Une interprétation âpre et très russe, qui culmine dans les dernières pages d’une tension presque insoutenable (ces grands arpèges «forte» au piano, d’une puissance physique quasi assommante).
Maxim Vengerov se montre en forme, tour à tour élégiaque, délicat et fougueux; il lui arrive de forcer un peu le son quand il s’emporte, lequel se pare d’acidités excessives. Mischa Maisky, lui, développe son gros son habituel, porté par un vibrato pour le moins généreux; mais il se montre sincère dans sa vibration à lui, expressif, moins larmoyant qu’à d’autres occasions. Itamar Golan, au piano, n’a pas la palette de couleurs d’un Trifonov. Son jeu se veut très orchestral (ce qui correspond à l’écriture de l’œuvre), superbement maîtrisé techniquement, avec des effets très réussis dans le magnifique mouvement central à variations (cet accompagnement fantomatique destiné à soutenir le violon). Le piano tend à se durcir lorsqu’il joue fort, d’autant qu’il y a va franchement, mais sa conception de l’œuvre et la variété de climats qu’il crée, dans le mouvement lent en particulier, signent une vraie personnalité. Une lecture qui exalte la dimension tragique du «Trio» de Tchaïkovski dans les ultimes pages.