Jamais là où on l’attend, en métamorphose perpétuelle, la lascive Catherine Ringer, ancienne voix féminine des Rita Mitsouko, présentait vendredi soir à la Salle des fêtes de Thônex (GE) son dernier-né: Plaza Francia – A New Tango Song Book (www.plazafrancia.tv). Une pure merveille.
Un peu grisonnante au-dessus de ses yeux toujours immenses, le chignon bas, tiré à quatre épingles, raie de côté, de noir parée. Ses bras se promènent dans l’espace pour porter aux nues l’âme argentine de sa voix intacte, qui se perche aux sommets et illumine de sourires heureux le visage des spectateurs. Loin d’être toujours très jeunes, mais si sensibles aux jeux de cette grande comédienne!
Tous ces tangos déstructurés, comme dérythmés, de son pas sublimement chaloupé, la Ringer les envoie comme autant de cris d’amour ou de désespoir, jetés entre les doigts de «La Mano Encima». Au cœur – le très beau «El Vaivén del corazón!» – de ce répertoire qu’elle maîtrise avec sa verve hypnotique, qui ne laisse la place qu’à deux reprises historiques: le magnétisant «I’ve Seen That Face Before (Libertango)» de Grace Jones (1981), thème fondateur du nuevo tango d’Astor Piazzolla; et, en rappel, ce que tout le monde attend et espère secrètement comme la madeleine de Proust, le cultissime «Marcia baila» (1984), entièrement revisité et qu’elle réinterprète enfin après avoir digéré l’envol de Fred Chichin, il y a sept ans.
Un poison lyrique, noir
Plaza Francia, c’est donc le magnifique projet, bien peu conventionnel, de tango déstabilisé, façon Rita. Qui a été cueillie par Eduardo Makaroff et le compositeur suisse Christoph Müller, tous deux cofondateurs du groupe Gotan Project, actif depuis 1999 dans le métissage du tango et de la musique électronique.
Impériale, hiératique dans la tenue rouge pétard qu’elle revêt à mi-concert, Catherine Ringer n’a jamais mis les pieds à Buenos Aires et elle ne parle pas l’espagnol. Mais elle a la bonne oreille, ça fonctionne à plein, dans une rencontre sensuelle, imparable, immédiatement captivante. Car elle s’y connaît en torrents de sentiments et en violences charnelles: «Elle s’est révélée être une chanteuse de tango, alors qu’on était plus venu la chercher pour son côté rock. Elle s’est découvert une âme tanguera par son tempérament, sa manière d’interpréter. Elle est très expressionniste, c’est très personnel, mais ça colle très bien», juge Christoph Müller.
Au final d’un concert d’une heure et demie qui se vit comme une rencontre intime, à la fois sobre et intense, la leçon musicale de Catherine en impose. Elle évite le mélo argentin, mais y injecte comme un poison lyrique, noir, sans fioritures. Perçant, avide, vivifié dans le roulement du piano et du bandonéon. C’est effarant: ça lui colle à la peau.
Tournée de Plaza Francia: à Espace Gruyère, Bulle, 30 mai; au Corbak, La Chaux-du-Milieu (NE), 7 juin; au Montjoux, Thonon-les-Bains, 5 juillet; aux Théâtres romains de Fourvière, Lyon, le 7. Loc. www.plazafrancia.tv