«Fidelio» dans un pénitencier high-tech
lyrique
L’opéra de Beethoven manque d’incarnation théâtrale au Grand Théâtre de Genève. Le chef Pinchas Steinberg dirige très bien la partition, sans y apporter tout le souffle attendu

«Fidelio» dans un pénitencier high-tech
Lyrique L’opéra de Beethoven manque de crédibilité dramatique au Grand Théâtre de Genève
Prison ultramoderne, caméras de vidéosurveillance: le nouveau Fidelio du Grand Théâtre se passe dans un univers carcéral high-tech. A Genève, Pinchas Steinberg mène tout cela à l’œil et à la baguette, à la tête d’un OSR très en place, mais sans qu’il ne lâche vraiment la bride. A la première lundi soir, le spectacle a quelque peu tardé à se mettre en route.
La mise en scène sobre de l’Allemand Matthias Hartmann a le mérite de ne pas trahir l’œuvre. Dans ce pénitencier à l’américaine, tout est froid, aseptisé. Les surveillants sont au taquet, le moindre incident déclenche une alerte, les écrans d’ordinateur virant alors au rouge. Cloisonnés dans leurs cellules, les détenus – que l’on devine sur les écrans – errent dans des couloirs sans âme. Cette absence d’humanité se traduit par un plateau haut et large, complètement nu.
Sur ce plateau, entre quatre murs gris, Jaquino et Marzelline (fille du geôlier Rocco) se disputent. Elle sort de la chambre à lessive (un élément modulable côté jardin) avec une veste mouillée à la main. Elle s’amourache de cette veste qui appartient de toute évidence à Fidelio. Or, Fidelio est une femme. L’épouse de Florestan s’est introduite en homme dans le pénitencier afin d’y sauver son mari, prisonnier politique. Ce quiproquo ajoute du sel à l’intrigue, Marzelline refusant d’épouser Jaquino (trop ordinaire à son goût) à qui elle préfère Fidelio.
Direction d’acteurs trop sommaire
D’autres éléments modulables glissent silencieusement au fil de l’action (une station de contrôle, un lieu de restauration, une grande cage où sont détenus les prisonniers). Ces éléments surgissent par le haut, par le bas, par les côtés. Hélas, les chanteurs ont l’air un peu perdus sur le vaste plateau. Ils n’investissent pas suffisamment leur jeu. Il faut la présence charismatique d’un Albert Dohmen (Rocco) pour que, soudain, l’action s’anime.
Bien sûr, l’univers carcéral n’a rien de bien humain. Mais Matthias Hartmann ne parvient pas à conférer assez de chair à ses personnages. Les gestes paraissent inaboutis. Dans le sublime «Quatuor» du premier acte, les chanteurs font des pas à droite et à gauche, chacun isolé dans ses pensées (ce qui correspond à la situation du livret), avec pour fâcheuse conséquence de s’éloigner les uns des autres plutôt que de se rassembler. Le chant s’en ressent.
Beaux ensembles
Le second acte amène un peu plus de mystère. Florestan gît au fond d’une gigantesque fosse de terre. Après l’introduction orchestrale, envoûtante (belles couleurs de l’orchestre), Christian Elsner lance son «Gott!» sans réelle conviction dramatique. Hélas, le ténor au physique de Viking bute sur l’intonation et écrête ses aigus. Son émission nasale n’arrange rien. Le duo d’amour entre l’épouse et le mari retrouvé manque de crédibilité théâtrale.
Les beaux ensembles (trio et quatuor du 2e acte) et les puissantes interventions du chœur rachètent ces scories. Côté chanteurs, Elena Pankratova a l’envergure d’une Leonore, dont elle domine la large tessiture. Mais son chant manque d’émotion et de générosité. L’émission vocale est très russe, avec des aigus tantôt percutants (superbe «Ich bin sein Weib» au 2e acte!), tantôt plus incertains comme celui qui couronne son grand air au 1er acte.
Albert Dohmen, très bien chantant, à la superbe présence théâtrale, apporte la dose de bonhomie attendue en Rocco. Siobhan Stagg (Marzelline) est l’heureuse surprise de la distribution, soprano frais et fruité. Manuel Günther compose un Jaquino juvénile, quoique plus impersonnel. Quant à Don Pizarro, le rôle a été mal distribué: Detlef Roth n’a tout simplement pas la voix pour camper le tyran.
Pinchas Steinberg – qui prétend pourtant qu’il faut bien distinguer le côté «Singspiel» du 1er acte et l’étoffe plus romantique du second – tend à unifier le propos. Les cordes sont très disciplinées (ce qui n’est pas toujours le cas avec l’OSR), les bois déroulent leurs mélodies de manière éloquente et les cuivres sonnent sans emphase. Mais on aimerait que le geste soit plus pétillant dans la première partie, moins contrôlé et plus emporté à d’autres moments, tout en admirant cette baguette éminemment sûre.
Fidelio au Grand Théâtre de Genève. Jusqu’au 25 juin. www.geneveopera.ch