Frédéric Lo, le premier album du reste de sa vie
Musique
Le génial producteur et compositeur sort enfin de l’ombre pour signer de son nom un album lumineux

C’est une pochette d’album comme on n’en fait plus: le visage en gros plan qui mange tout le cadre jusqu’à l’écarter, et une lumière si claire qu’elle pourrait d’abord laisser croire à une surexposition malheureuse. La symbolique est un peu trop facile, mais on ne va pas laisser passer une si belle occasion: Frédéric Lo se montre enfin à la face du monde, sans filtre, pour une mise en avant légitime après de nombreuses années passées à magnifier le travail des autres. Il a aujourd’hui 54 ans et sort son troisième album solo, bien longtemps après les deux premiers – La Marne bleue en 1997, Les Anges de verre en 2000. On a écouté ses 11 chansons en boucle, jusqu’à risquer l’écœurement. Le verdict est limpide: Hallelujah! est un grand disque de pop française.
Un démarrage pied au plancher avec La Clairière, un tube imparable au refrain mélancolique. Puis des mélodies très variées, des compositions évidentes, d’autres qui viennent frapper sur le tard, toutes portées par une voix très chaleureuse et pleine d’humanité. Et une œuvre qu’on quitte à regret avec Sortez les clowns, finish dépouillé et conclusion idéale d’un voyage roboratif. C’est tellement simple et efficace qu’on se demande pourquoi il a attendu aussi longtemps pour nous l’offrir. «Ce fut un long cheminement, un truc un peu étrange. Je fais de la musique depuis que je suis gamin, j’ai beaucoup bossé pour les autres, et j’étais toujours un peu crevé au moment de m’y mettre pour moi. Et puis j’ai senti que j’en avais vraiment envie il y a deux ans. Depuis, ça n’a été que du plaisir, je n’étais même pas anxieux du retour que j’allais avoir. Ce disque était comme un don de soi, il me suffisait en lui-même», dit-il aujourd’hui.
Rencontre décisive
Frédéric Lo a mis du temps à s’occuper de lui parce qu’il a donné le sien aux autres. Sa carrière semblait totalement bloquée voilà quinze ans, au point qu’il envisageait un autre chemin pour simplement gagner sa vie. Puis le succès national est venu d’un coup d’un seul avec Crève cœur de Daniel Darc, sorti en 2004. Lo a composé et produit tout l’album, avec des chansons devenues des classiques par les textes et le charisme si particulier de l’ancien chanteur de Taxi Girl. Une réussite telle qu’il n’a plus arrêté de travailler les années suivantes. Avec Daniel Darc, encore, pour Amours suprêmes (2008). Des collaborations alimentaires – on ne donnera pas de noms –, d’autres nettement plus avouables avec des artistes étonnants. On peut les nommer, ceux-là, tels Josh T Pearson, un Texan plongé en pleine transe religieuse lors de The Last of the Country Gentlemen (2011); ou encore Thousand, l’alias derrière lequel se cache le délicieux Stéphane Milochevitch, auteur l’an passé d’un exceptionnel Tunnel végétal.
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Crève cœur fut un passeport pour devenir une référence française de la réalisation, mais il a pourtant eu un peu de mal à le digérer: «C’était peut-être la première fois que je faisais un truc abouti et qui me convenait. Daniel n’avait lui pas fait de disque depuis dix ans et ne pensait plus en faire. Ça a changé nos vies, on s’est retrouvés sur une vague et on a surfé pour en prendre d’autres. Le paradoxe, c’est que c’était tellement fort que ça me faisait un peu flipper. J’avais l’impression qu’il était surestimé. C’est terrible, mais il a fallu que Daniel meurt [en 2013, ndlr] pour me rendre compte qu’on avait fait quelque chose d’unique, à chérir, et que ça avait été une chance énorme», juge-t-il avec le recul.
Duo avec Eicher
Il dit aussi qu’il n’est pas si simple de devoir s’occuper de soi: «Réalisateur, tu es comme en mission pour quelqu’un, et il faut aller au bout quoi qu’il arrive. Tu vois les choses comme un premier auditeur, tu te demandes comment tu vas gérer ça. Et c’est bien plus difficile d’avoir ce recul en solo. Il faut arriver à travailler sur soi comme si tu étais un autre, alors que tu veux plus d’immédiateté et que tu as tendance à oublier que ça se fait pierre par pierre. C’est plus dur, mais je ne pouvais pas donner ce disque à quelqu’un d’autre.» Il a quand même invité plusieurs artistes pour partager ses chansons. Deux ont accroché notre œil et nos oreilles. Robert Wyatt, qu’il admire depuis toujours: «Il est très humble, avec un côté presque communiste, du genre la musique doit se partager, se donner, ce qu’on fait ne nous appartient pas. C’est une grande leçon, Robert…»
Et puis il y a Stephan Eicher, qu’il fréquente depuis qu’il a réalisé son Eldorado en 2007, et avec qui il chante Cet obscur objet du désir, le seul texte qu’il a écrit sur Hallelujah! «Stéphane la voulait pour Eldorado, mais j’ai toujours refusé malgré ses relances et ça l’a rendu dingue, rigole-t-il. Cette chanson est trop personnelle, je savais que je voulais la garder pour plus tard. L’inviter, c’était un moyen d’enlever l’affront que je lui avais fait. Nous vivons une belle amitié, je trouve magnifique qu’il puisse donner sa voix pour cet album après que j’ai beaucoup donné pour le sien il y a douze ans.» Mission accomplie, pour une réussite totale. Dieu soit loué.
Frédéric Lo, «Hallelujah!» (Water Music).