Il n’a pas fallu longtemps pour que les musiciens réagissent à la contrainte de l’isolement. Parmi les premiers à se lancer dans la diffusion sur Facebook de vidéos quotidiennes enregistrées en solitaire, Gautier et Renaud Capuçon donnent des concerts miniatures de chez eux. Ils partagent et communiquent ainsi presque quotidiennement avec un public virtuel qui n’a rien d’imaginaire.

Le plus jeune de la fratrie, Gautier, a posté sa première capsule musicale dans un élan naturel. «J'ai ressenti un besoin immédiat et très fort», explique-t-il. «Je n’ai pas l’habitude de me filmer dans ma chambre ou mon bureau. Mais après l’annulation successive de mes concerts, j'ai été saisi par un vide musical inédit et abyssal, comme un vertige.»

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Privé soudain des rapports humains, que ce soit entre instrumentistes, chefs, ou avec le public, il voulu combler ce manque. «Il n’est pas envisageable de passer une journée sans jouer. Le partage vidéo s’est imposé immédiatement.» Les œuvres pour violoncelle seul ne pullulent pas, bien qu’il en existe un certain nombre et d’habiles transcriptions. «Les six Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach sont l’alpha et l’oméga de l’instrument», rappelle le soliste.

Des réactions intimes

Il n’avait encore jamais osé s’y confronter et s’était juré de le faire pour ses 40 ans. Le Coronavirus aura accéléré le mouvement. «En postant chaque jour ou presque une des six danses de chaque Suite, cela m’oblige à avancer et à m’exposer immédiatement à l’écoute des autres.»

«Les retours sont extraordinaires. En salle, on est porté par une sorte d’électricité collective. Sur internet, les commentaires sont très personnels. Les réactions intimes, les descriptions des émotions et les avis sont extrêmement touchants. C’est une expérience humaine et un défi musical incroyables.»

Sur le plan personnel, le confinement vivifie le rapprochement familial. «Pour nous qui vivons majoritairement dans les avions et les hôtels, très souvent loin de nos proches, c’est une occasion unique de retrouver ou de redécouvrir des joies dont nous sommes souvent privés.» Depuis le 16 mars, les pièces de Bach ont alterné sur neuf «jours» avec deux œuvres de style différent: L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf et Una mattina de Ludovico Einaudi.

Dévorer livres, partitions et disques

Pour Renaud Capuçon, la rigueur imposée par la pandémie a canalisé une forme d’angoisse latente, avant que les mesures ne soient prises. «L’effondrement d’un fonctionnement habituel est très déstabilisant», raconte le violoniste, lui aussi assigné à résidence.

Ce que le virus aura changé, comme pour beaucoup d’hyperactifs, est moins de prendre le temps de la méditation que de faire tout ce que l'insatiable de musique n’avait pas le temps de réaliser. C’est-à-dire de dévorer livres, partitions et disques, et d'organiser ses activités dans un canevas très strict.

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«Pour continuer à donner un concert presque quotidien, les réseaux sociaux sont une bonne solution. J'ai besoin de rendez-vous avec le public dont l’absence m’est douloureuse. C’est un rite partagé. Chaque jour, pour chaque nouvelle pièce choisie la veille, je m’habille différemment, comme pour honorer des invités.» Le violoniste porte une grande attention au choix des œuvres. «C’est un journal intime. Si cela plaît et fait du bien, ou peut inciter et encourager des jeunes, c’est parfait. Dans une tour d’immeuble, j'aurais naturellement joué de ma fenêtre ou je serais sorti sur la balcon.»

Application et pianiste

Pour s'accompagner, Renaud Capuçon utilise l’application NomadPlay, qui offre des enregistrements d’instrumentistes ou d’orchestres sur lesquels un musicien peut jouer les parties solistes. Pour les duos, Guillaume Bellom a enregistré de son côté, au tempo et avec les indications du violoniste, la partie pianistique.

Depuis le 15 mars, les posts diffusés «pour adoucir le confinement à venir» alignent des pièces de Dvorák, Massenet, Fauré, Bach, Ennio Morricone, John Williams, Mendelssohn, von Paradies, Bazzini et Chopin. Des concerts perpétuels dont on aimerait ne jamais voir la fin...