musique
Le Nouvel Opéra Fribourg présente jusqu’au 1er juin une série de spectacles, dont deux créations, sous l’intitulé «Klanggg». Entretien avec son directeur artistique, Julien Chavaz

«Klanggg»: un mot qui claque pour donner corps à un mini-festival inédit à Fribourg. Le bilinguisme de la ville invite à cette formulation chapeautant une série d’événements placés sous le sceau du théâtral musical. Julien Chavaz, directeur artistique du Nouvel Opéra Fribourg (NOF), met lui-même en scène deux spectacles innovants: Pelléas et Mélisande, d’après Maurice Maeterlinck, et l’opéra de chambre Powder Her Face, du compositeur anglais Thomas Adès.
Comme pour d’autres maisons romandes, la pandémie a occasionné un réagencement de la programmation. «On devait présenter ces spectacles selon un ordre habituel, les uns derrière les autres, avec un espacement entre eux, puis les reprendre au Théâtre de l’Athénée à Paris, explique Julien Chavaz. Mais le coronavirus a changé la donne. Tous les spectacles se sont retrouvés resserrés dans une certaine période où il était possible de les produire et de les diffuser. On a réemballé le tout sous forme d’un mini-festival avec un focus sur deux créations et l’invitation de spectacles.»
Une «Dirty Duchess» décriée dans les années 1960
Né à Berne en 1982, Julien Chavaz se passionne pour l’opéra et le théâtre musical dans son expression la plus actuelle. Il s’étonne qu’un opéra de chambre comme Powder Her Face n’ait pas encore été représenté en Suisse, sans doute en raison de ses dimensions plus modestes qu’un opéra dit «traditionnel». Un «ouvrage remarquable», clame-t-il, pour 15 musiciens et quatre chanteurs, qui parle du destin scandaleux d’une duchesse anglaise, Margaret Campbell, et du regard qu’ont porté la presse à sensation et le public sur ce destin très particulier.
Dans cette œuvre, Thomas Adès réanime la célèbre duchesse aux 88 amants, noyée dans le scandale sexuel et médiatique le plus virulent du XXe siècle. On y découvre une femme récemment divorcée qui épouse un riche duc. Mais ses mœurs légères la précipitent dans une lente descente aux enfers.
Une première suisse, donc, pour cet opéra créé en 1995, «à la musique savante et incroyablement riche. Thomas Adès avait 25 ans quand il a composé cet opéra, raconte Julien Chavaz. Il faisait beaucoup la fête en Angleterre et menait une vie de débauche. Il y a une précision du geste théâtral incroyable pour suggérer tout un univers, y compris une scène d’orgasme féminin et une scène d’orgasme masculin – une fellation – mais racontée sous une perspective féminine. Tout est décrit dans la musique, jusqu’aux bruits sexuels de l’acte suggérés par l’orchestre, de manière troublante. C’est bien le plaisir de Madame qui est au cœur de la partition, et pas le plaisir de Monsieur!»
«Une sorte d’aquarium de stimuli»
Si Powder Her Face est donné au Théâtre Equilibre dans sa version originale (avec la mezzo-soprano Sophie Marilley dans le rôle-titre et l’Orchestre de chambre fribourgeois sous la direction de Jérôme Kuhn), Pelléas et Mélisande s’apparente à une adaptation très libre du texte de Maeterlinck. On n’y trouvera que quelques échos épars à la musique de Debussy: c’est un spectacle qui pulvérise les codes de l’opéra et retrace l’histoire d’une tout autre façon par le biais du théâtre musical.
A lire: L’Opéra de Lausanne sous le signe de la renaissance
Julien Chavaz a demandé au compositeur genevois Nicholas Stücklin, un «bidouilleur de sons et créateur d’espaces sonores», d’écrire une nouvelle musique sur la base d’une réduction du texte de Maeterlinck. «Ensemble, on a essayé de se replonger dans la matière textuelle de Maeterlinck, explique-t-il. Cette matière a servi de source à l’élaboration du spectacle avec les chanteurs et comédiens. On a créé une sorte d’aquarium de stimuli qui fait écho au texte.»
Cette relecture atypique, réalisée avec la co-metteuse en scène Nicole Morel, s’appuie sur la poétique même du texte de Maeterlinck. «Je me méfie des textes narratifs, construits, ou psychologiques: je préfère la poésie et la musique. Or, j’ai trouvé là un miroir incroyable de ce que je projetais. Tout est en ellipses, en mystère; rien n’est expliqué, tout est suggéré, avec un langage éminemment symbolique.»
Se démarquer des grandes maisons
Créer de nouveaux langages, se démarquer de la programmation des grandes maisons d’opéra classiques: tel est l’enjeu du NOF. En coproduction avec l’espace culturel le Nouveau Monde, Klanggg propose aussi une création autour de la Danse des sept voiles de Salomé. Il y aura aussi un hommage à Klaus Nomi par le ténor américano-kazakh Timur. Couchée sur un Steinway en escarpins satin et robe pailletée, la comédienne Rébecca Balestra livre encore un récital de poésies accompagnée par Grégory Regis au piano. Quant à la mezzo-soprano Sophie Marilley, elle participera à une discussion autour des enjeux féministes à l’opéra, en écho à Powder Her Face.
Tout un ballet de spectacles, donc, avant une résidence en juin au Théâtre de l’Athénée à Paris. Julien Chavaz s’apprête à diriger sa dernière saison au NOF, avant de prendre un nouveau virage artistique avec la direction générale à l’Opéra de Magdebourg dès 2022-2023. Une pièce de théâtre musical de Peter Eötvös, Le Dragon d’or, est d’ores et déjà annoncée en janvier 2022, en coproduction avec le Grand Théâtre de Genève et la Comédie de Genève.
«Klanggg», Théâtre Equilibre et Nouveau Monde, Fribourg, jusqu’au 1er juin 2021.