A Genève, le classique a survécu au covid en s'aventurant hors des sentiers battus
Musique
Le Grand Théâtre et les orchestres genevois ont traversé la pandémie en faisant preuve d'une résilience et d'une imagination attisées en fonction des moyens à leur disposition

A Genève, en presque deux ans, la culture est passée d’une paralysie brutale à une agilité sans cesse renouvelée pour subsister au covid. Le Temps revient sur cette période, marquée par la résilience de tout un secteur, à travers une série d'articles.
Le grand répertoire a dû lui aussi métaboliser le covid. Sa porte de sortie? Repenser les pratiques et restreindre les formats. Après l’engouement du streaming, qui a d’abord été l’issue pour garder le contact avec le public, en atteindre d’autres plus démunis, isolés ou empêchés, et amplifier le rayonnement international, il a fallu exister autrement. Affamées par la disette, certaines institutions ont trouvé des solutions transversales originales pour survivre. Mais les plus petits, aux capacités financières réduites, ont peiné à créer de nouveaux modèles de production.
Le directeur de l’ensemble contemporain Contrechamps, Serge Vuille, a suivi puis devancé la vague. Ses «enfants» du covid? «La création de concerts à domicile avec cinq personnes maximum, ou dans des espaces privés, en collaboration avec l’association «Dans l’jardin». Il y a aussi une nouvelle saison «pyjama» pour explorer l’intimité et le bien-être à travers des concerts avec tisane ou soupes notamment.
«Après le succès remporté, nous avons lancé un appel à projet où le public donne lui aussi ses idées. Trois verront le jour en juin, autour du végétal: des concerts à la tombée de la nuit en forêt, dans des serres, ou pour les arbres. Deux petites séries sont aussi dans le pipeline: «Grand Ecart», destinée aux enfants, et «A table» pour tous, avec lunch. Le développement de projets vidéo fait aussi partie de nos nouveautés.»
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Orchestre fantôme
Récemment, l’Opéra de Genève a opté pour l’ultime recours. Les deux dernières représentations des Pêcheurs de perles de Bizet ont été données sans orchestre, mais avec un piano pour sauver la mise en scène, les décors, les solistes et le chœur.
Avant cette proposition lyrique de la dernière chance, Aviel Cahn rappelle les adaptations inédites qui ont vu le jour à l’Opéra pendant les annulations. «Nous avons conçu des petits formats, en streaming surtout, avec les jeunes chanteurs de la troupe qui étaient sur place mais inactifs à cause des annulations. Candide de Bernstein a été proposé avec les stars de la production dans des medleys de scènes. Un concert de Noël et un petit spectacle intitulé Broadway ont été diffusés sur notre site.»
Pour les solutions plus originales, l’Affaire Makropoulos de Leos Janacek a été produite sur scène avec une bande-son de la partition orchestrale préalablement enregistrée par l’OSR, et dirigée en fosse par le chef devant un orchestre fantôme pour donner les départs aux chanteurs et leur impulser le tempo.
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La Traviata a, quant à elle, été remplacée par un spectacle du même nom, réalisé en dernier recours par l’assistant à la mise en scène, avec la jeune troupe. «Ce pasticcio entre la pièce de théâtre musical et l’opéra, avec un piano, quatre chanteurs et une actrice dans l’avant-scène, a été un complément original et drôle, qui a eu beaucoup de succès» poursuit Aviel Cahn. «Les solutions de dernière minute nous ont permis d’utiliser au maximum les gens qui étaient sur place. Cela nous a donné des idées pour imaginer des productions inhabituelles, qui demandent des ressources et des énergies indisponibles en temps normal.»
Du symphonique de proximité
L’OSR aura aussi été un modèle du genre. «Nous avons pris le parti de nous recentrer sur la région en invitant des artistes qui vivent en Suisse, et de développer les activités de proximité», révèle le directeur général Steve Roger. «Une roulotte a été transformée en scène mobile. Nous sommes allés vers les EMS, devant l’hôpital ou dans des cours d’école. Nous avons même réalisé une mini-tournée romande.»
«Le temps libéré par les annulations a permis d’enregistrer des disques, avec Daniel Harding notamment. Et dans l’enchaînement, le chef a été invité à une résidence de deux ans, ce qui est unique. Il y a aussi eu des rendez-vous «one to one» avec un musicien jouant pour un auditeur dans des lieux séduisants, et le retour de notre calendrier de l’Avent, invitant chaque jour à une découverte musicale en ligne.»
La diffusion de la 9e Symphonie de Beethoven à 360 degrés, dans le Victoria Hall où les musiciens étaient disséminés, a aussi été un événement fort. Et la naissance du Festival Genève-Plage, en août, est une opération concluante qui sera poursuivie.
Une adaptation permanente
«Nous avons totalement intégré l’incertitude dans notre mode de gestion», explique de son côté Frédéric Steinbrüchel, directeur général de l’Orchestre de chambre de Genève. «Avant, on la subissait. La nécessité d’adaptation permanente est devenue la norme. Les cycles de préparation et de production sont plus courts et la façon d’organiser beaucoup plus rapide. L’apprentissage sera conservé. Les effectifs seront réduits, les concerts courts, les lieux ouverts ou intimes, les publics éloignés: ces propositions ont marqué notre activité.»
Ces productions originales ont aussi beaucoup sensibilisé le public. De retour en masse dans les salles, les spectateurs avides de vibration collective sont en quête de musique vivante, quelle qu’en soit la forme.