Musique
L’Ensemble Contrechamps propose ce dimanche deux pièces de la compositrice genevoise décédée en 1993. Brève évocation d’un parcours fulgurant

C’est une supposition, mais: si l’on admet que Google est quelque chose comme un souvenir global et médian – c’est-à-dire pondéré par les goûts de celles et ceux qui le nourrissent ainsi que par l’effritement des mémoires –, alors le nom de Geneviève Calame glisse peu à peu vers l’oubli, du moins du grand public: les captations des œuvres de cette compositrice genevoise très prolifique ne sont pas légion, et les occurrences menant vers elle sont pour beaucoup noyées dans celles qui se réfèrent à sa presque homonyme, l’ethnologue Geneviève Calame-Griaule.
Et pourtant: un détour par la presse romande des années 1970 à 1990 (elle meurt le 8 octobre 1993 à l’âge de 46 ans, ce qui est évidemment beaucoup trop tôt) montre un parcours pour tout dire fulgurant, celui d’une artiste aventureuse, avant-gardiste, et dont la pensée assénée et acérée allait remuer tout autant les interstices des sons que des champs d’investigation situés au-delà de la musique.
Le programme de l’Ensemble Contrechamps: «L’Ensemble Contrechamps remet le son»
Geneviève Calame s’est formée auprès de Pierre Boulez, Henri Pousseur, ou encore l’immense Jean-Claude Eloy. Son œuvre est protéiforme. Elle compose à parts quasiment égales pour des instrumentations acoustiques et électroacoustiques – elle fonde en 1971 à Genève avec Jacques Guyonnet (autre grande figure de la scène contemporaine d’ici, et qui fut par ailleurs son mari) le studio ART (pour «Artistic Research Team»), dédié aux expérimentations électroniques, tant visuelles que sonores. En août 1992, elle expliquait à 24 heures, peu avant l’exécution d’une de ses pièces au Festival de Lucerne: «Quand vous écrivez pour des instruments, vous êtes limité par un certain nombre de règles imposées par la nature et par les possibilités de ces instruments. […] Tandis qu’avec les moyens de la technologie actuelle, vous avez à disposition un nombre infini de sons, et aucune loi.»
Aucune loi chez Geneviève Calame, ni barrières surtout. La journée (intitulée «La musique et son double») que lui consacre ce dimanche à Genève l’Ensemble Contrechamps en témoigne par la présentation de deux œuvres majeures, représentatives de ses pratiques diverses: Dragon de lumière (1991) tout d’abord, pour ensemble instrumental. Et puis surtout Labyrinthes Fluides (1976): cette projection visuelle et sonore a été majoritairement créée grâce à l’EMS Spectron, un synthétiseur vidéo analogique absolument rarissime (il n’en a été construit qu’une quinzaine dans le monde) et généreux dans sa liberté – ces Labyrinthes s’expérimentent comme une marche agile dans une jungle d’oscillateurs projetant leurs propres images mentales.
Tarentelle contemporaine
On peut à bon droit considérer Geneviève Calame comme une sculptrice d’ondes, de vibrations. A La Suisse, en avril 1993, elle déclarait: «[…] Le cœur a tendance à se mettre au rythme de la musique. Il faut qu’il y ait sympathie et résonance.» Ces deux mots n’ont certainement pas été lâchés au hasard: ce sont ceux que Michel Foucault utilise (dans Les Mots et les choses) pour caractériser cette vision particulière du monde qui s’épanouit durant la première Renaissance et qui tend, par un effet de parallélisme entre microcosme et macrocosme, à voir dans l’être humain un reflet de l’univers tout entier. Or, c’est au moment où elle exprime cette philosophie musicale que Geneviève Calame commence une collaboration – malheureusement abrégée par sa mort – avec les hôpitaux genevois, mandat visant à créer des pièces musicales pensées pour combattre les angoisses proliférant en milieu médical (tant à l’intention du personnel soignant que des patients). Une forme de tarentelle contemporaine, applicable au bruit des scanners plutôt qu’à la morsure des araignées, et qui prend appui sur un imaginaire fait de correspondances, de résonances entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’ici et l’ailleurs. Mais sans céder à l’irrationnel, comme elle le disait encore à cette occasion: «On ne prétend pas faire des miracles, mais aider.» Et tel pourrait être le credo de tout musicien.
La musique et son double. Salle Frank-Martin, Genève. Dimanche 26, à 17h.